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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 46 Inversions

Keep Watching the Skies! nº 46, janvier 2003

Iain M. Banks : Inversions ~ le Sens du vent

(Inversions ~ Look to windward)

romans de Science-Fiction ~ chroniqué par Noé Gaillard

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J'espère que l'apparente complexité d'un Banks ne rebute pas les lecteurs. Il est de ces plaisirs que l'on aurait tort de se refuser sous prétexte que l'on ne comprend pas tout immédiatement, et que l'humour britannique est trop différent du nôtre… Avec ce sixième épisode du cycle de la Culture — un des monuments de la S.-F. — Banks réfléchit à la fidélité, au sens du devoir — autre forme de fidélité —, à la solitude, au suicide et au vieillissement de la Culture.

La fidélité à un sentiment, et donc à la personne pour laquelle ce sentiment est éprouvé. Quilan, un des principaux personnages du roman, est envoyé en mission suicide sur une orbitale de la Culture (monde artificiel en forme de ruban qui remplace, auprès d'un soleil, une planète inexistante ou disparue). Il a accepté cette mission parce que celle qu'il aimait est morte pendant la guerre que l'“on” accuse la Culture d'avoir déclenché. Il est accompagné/encombré d'un hôte — logé dans son cerveau — qui l'aide et doit surtout éviter qu'il prévienne de ce qu'il est censé faire… Le prétexte de Quilan pour approcher son objectif est la présence sur l'Orbitale de Ziller, un musicien de génie du même peuple que lui, et qui refuse de revenir au pays. Ce Ziller est fidèle à ses idées — Têtu ? Obstiné ? Le lecteur choisira sa définition de la fidélité. Si Quilan est fidèle à celle qui l'aimait, son sens du devoir s'émousse au fur et à mesure que s'approche le moment de remplir sa mission.

L'énormité de ce que son geste va provoquer, et une nouvelle vision de son monde qui prend forme au gré de sa découverte de celui de la Culture, menacent sa fidélité aux idées et autres idéaux qui sont les instigateurs de son geste. Quilan confronte ses souvenirs et le présent, son monde de Castes et celui poly-culturel de la Culture. Ziller confronte ses obstinations aux désirs fous des autres, ses idées reçues à celles, mouvantes, de la Culture. Et Banks nous montre deux, puis trois, puis quatre, puis cinq solitudes. Solitudes par choix ou imposées — mais certains exils peuvent être voulus — qui conduisent au suicide ou à une renaissance. Ainsi le Mental de la Culture, qui organise l'orbitale et a absorbé son jumeau, est un solitaire ; non content de déjouer — grâce à un “infidèle” qui a préféré la Culture à son monde — les plans préparés pour Quilan, il lui offrira un beau suicide en même temps que le sien. Le même Mental explique le complot de Quilan, dans lequel seraient impliqués deux membres de la Culture, par l'incapacité de cette Culture à se remettre en cause — il semblerait que la Culture et ses Vaisseaux en soient réduits à faire de l'humour !!! On notera, et ce n'est pas innocent — même si c'est dans le droit fil des personnages — que Ziller acceptera de retourner sur sa planète d'origine et que le dernier mot est laissé à l'“Infidèle”. Celui qui a toujours su naviguer au plus près du vent et louvoyer au mieux de ses intérêts (qui coïncident avec ceux de la Culture).

Nota : si vous êtes perdu quelque part quand les “Navires” se jettent à la figure des noms de vaisseaux, ou quand Quilan et son hôte se parlent, regardez bien la typographie ; si vous ne comprenez toujours pas, vous ne pouvez plus incriminer l'auteur et/ou son traducteur.

De la même façon, vous ne devrez pas vous tromper de récitant ou de narrateur en lisant Inversions — chaque en-tête de chapitre indique de qui il sera question, et en fin de volume l'“auteur” prend la parole. Ce n'est pas vraiment de la S.-F. — même si le personnage du docteur Vosill semble débarqué d'une autre planète —, ce n'est pas non plus de la Fantasy, c'est tout simplement une bonne histoire comme Banks sait les raconter.

Suite de récits/rapports mettant en scène d'une part un garde du corps responsable de la vie de l'empereur, et le docteur Vosill et son aide qui l'espionne et rédige, chargés de la santé du roi Quience, pour l'heure opposé à l'empereur et faiseur de réformes justes. Tandis que Vosill reste célibataire et ose, à son grand désarroi, révéler au roi qu'elle l'aime, De War le garde du corps, est amoureux d'une des concubines de l'empereur. Banks ajoute bien sûr quelques complots pour mettre en valeur ses héros et en ce sens ne s'éloigne guère de ses romans de la Culture. Ici on pourrait penser que celui qui raconte rédige un rapport destiné à la Culture. En fait les différents rapports et récits racontent la chute d'un système politique et la montée lente de celui qui le remplace. C'est-à-dire que s'organisent deux complots : un roi échappe à la mort — grâce à l'intervention du médecin Vosill qui semble extérieure à sa civilisation, mais qui s'adapte très vite à l'inattendu — et gouverne à la place de l'empereur, vaincu et assassiné par la concubine aimée de De War.

Ce roman est pour moi typique du roman populaire — au sens de Féval ou Montépin — et je le présenterai comme un des épisodes de la Culture ne pouvant être revendiqué par la dite Culture, parce que représentant une intervention visant à modifier l'évolution d'une planète. Roman Culture parce que le personnage de Vosill semble pourvu de pouvoirs exceptionnels capables de la protéger et de la transformer en Caméléon — oui, en Jarod — et de lui conférer le don des langues tout en ne lui donnant aucune origine. Roman populaire, parce qu'utilisant le rire et les larmes entre deux suspenses pour faire vibrer le lecteur, en lui donnant en pirouette deux fins pour ce qui est de De War et de la concubine tout en privilégiant une. Ainsi, entre roman “Culture” et roman populaire, il reste à vérifier que Banks parle la même langue et soutient le même discours. Dans les deux romans on trouve la même dénonciation du manichéisme. Entendons nous bien : Banks ne range pas les notions de Bien et de Mal aux oubliettes de la S.-F. ou de la Fantasy, il les relativise. Et dans les “intermèdes” de la Culture, comme dans les histoires racontées par Dewar pour distraire le fils de l'Empereur, c'est le même sens de la nuance qui apparaît… On remarquera que pour faire passer les petites leçons de “morales”, Banks utilise l'humour discret — celui que l'on n'est pas obligé de comprendre pour poursuivre la lecture ou celui qui fait rire les personnages eux-mêmes et donc nous par ricochet. Banks ou l'art d'écrire des romans édifiants qui ne sont pas ennuyeux, et servent une vision du monde plus réaliste qu'il paraît. Je ne saurais trop recommander une lecture à la suite de ces deux romans au moins pour s'en rendre compte.

Il est signalé, au début d'Inversions, que celui-ci est présenté par Patrice Duvic ; si l'on se souvient que c'est à lui aussi que l'on doit la traduction en français de Jamil Nasir et de David Farland, je me demande si certains directeurs de collections ne seraient plus à suivre que d'autres. Pour la simple raison que leurs choix éditoriaux relèvent d'un goût particulier, plus que d'une volonté commerciale. Reste à voir si ce goût particulier est partagé par le public…

Notes

››› Voir autre chronique du même livre (le Sens du vent) dans KWS 41-42.