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Keep Watching the Skies! nº 51, septembre 2005

Mélanie Fazi : Arlis des forains

roman fantastique

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chronique par Philippe Paygnard

La petite ville de Bailey Creek, en Arkansas, voit sa paisible tranquillité bouleversée par l'arrivée de forains. Le temps de leur séjour, deux mondes vont être obligés de cohabiter, celui de Faith, la fille du pasteur, que rien ne semble impressionner, et celui d'Arlis, l'enfant trouvé par les forains, que Lindy l'ancienne écuyère élève comme le fils qu'elle n'a pas eu. Appartenant à des mondes différents, ces deux enfants vont se rencontrer car ils partagent bien des points communs. Outre une certaine curiosité, ils ont onze ans tous les deux, un âge difficile car il se trouve entre l'innocence de la petite enfance et les impérieux questionnements de l'adolescence. C'est certainement ce qui les rapproche et qui leur permet, malgré leurs différences, de se lier d'une certaine amitié. C'est ainsi que Faith entraîne Arlis au milieu des champs de blé à la découverte des fantômes et des sombres secrets qui hantent ces lieux qu'elle est seule à connaître et à maîtriser grâce à de mystérieux rituels.

Ainsi débute l'aventure d'Arlis, un récit qui, comme la majorité des textes de Mélanie Fazi, se situe dans cette indéfinissable zone frontière à la limite du réel et du fantastique. Cependant, à l'inverse de certains textes précédents de la romancière, le réalisme de cette histoire ne se situe pas dans les décors, à peine ébauchés, d'une petite ville du sud des États-Unis ou dans les quelques caravanes de la troupe des forains. Il réside essentiellement au cœur des personnages dont les sentiments, les réactions ou encore les non-dits sont décrits avec une profonde humanité et avec une vérité exacerbée. C'est sur cette base que Mélanie Fazi construit alors son récit en nous entraînant à la suite d'Arlis et Faith, deux enfants qui semblent capables de découvrir, comme dans tous les textes de la romancière, la faille qui se dissimule derrière toute réalité.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Mélanie Fazi donne à des enfants le rôle principal d'un de ses textes. Ils sont très présents dans son œuvre encore naissante. À l'instar d'Arlis, certains sont même capables de voir les fantômes comme Ingrid et Noël dans "le Faiseur de pluie"1 qui découvrent qu'un esprit hante la maison de leurs vacances. Mais cette capacité médiumnique n'est pas donnée à tout le monde et il semble qu'il faille respecter certains rituels pour qu'elle apparaisse ou se développe. C'est tout du moins ce que laisse entendre Faith qui, fort heureusement, a l'air de connaître tous les cérémonials pour y parvenir.

En nous laissant accompagner Faith et Arlis dans un champ de blé, Mélanie Fazi prend cependant le risque d'une inévitable comparaison. En effet, comment ne pas envisager, ne serait-ce qu'un instant, que le Seigneur des Moissons qu'invoque Faith ne soit rien d'autre qu'une simple variation de Celui qui règne sur les sillons, le terrifiant Seigneur qui hante la nouvelle "les Enfants du maïs" de Stephen King. Mais, la romancière sait nous surprendre avec habileté car les apparences se révèlent souvent trompeuses et le mystère ne se situe pas forcément là où l'on pense le trouver.

D'ailleurs, outre l'aspect fantastique de son récit, Mélanie Fazi n'hésite pas à y introduire une dimension tragique, dans le sens de tragédie antique. Ainsi Emmett, le colossal patron de la troupe de forains, arbore bien malgré lui la figure du père dans l'inévitable triangle qu'il forme avec Lindy et Arlis. Et, lorsqu'il chevauche Spartacus, son étalon, le même Emmett prend des airs de centaure, sauvage et féroce comme tous ceux de sa race. Mais c'est aussi à Œdipe que l'on songe lorsque Arlis découvre qu'il n'est pas l'orphelin qu'il croyait être et que Lindy n'a jamais été la mère d'adoption parfaite et sans reproche qu'il pensait.

Ceux qui ont aimé Serpentine, le récent recueil de nouvelles de Mélanie Fazi paru aux éditions de l'Oxymore, ne pourront qu'apprécier ce roman. On y retrouve en effet certains des thèmes de prédilection de l'auteur. Comme dans ses textes courts, l'élément fantastique est subtilement dosé et le récit laisse une part prépondérante à l'humanité des personnages. L'espace romanesque permet à Mélanie Fazi de prendre le temps de nous faire découvrir chacun des différents protagonistes de son récit et tout particulièrement Arlis. Elle dresse ainsi le portrait d'un enfant attachant qui découvre, en même temps que le lecteur, le secret de ses origines. Cette révélation brutale lui fait perdre d'un coup toute l'innocence de ses jeunes années, l'entraînant dans une quête de vérité placée sous le signe de la tragédie et, malgré tout, emplie d'espoir. Parvenu au terme de cette lecture, on a bien envie d'en savoir plus sur la destinée d'Arlis et le suivre dans le voyage initiatique qui s'ouvre à lui.

Notes

  1. Reprise dans le recueil Serpentine.