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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 51 la Profondeur des tombes

Keep Watching the Skies! nº 51, septembre 2005

Thierry Di Rollo : la Profondeur des tombes

roman de Science-Fiction

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chronique par Éric Vial

Les rééditions en poche ont le double avantage de mettre du beurre dans les épinards de petites maisons d'édition qui ont pris des risques, et de faire connaître des auteurs à un public plus large. Elles correspondent peut-être à un nouvel équilibre, le meilleur sans doute que l'on puisse espérer en des temps où les collections grand format disparaissent et où les publications se raréfient, tout simplement parce que le lectorat potentiel en grand format n'est pas ou plus suffisant pour éponger les frais généraux de maisons installées, riches en mètres carrés parisiens et en personnel spécialisé dans le calcul de rentabilité. Tout cela pour dire qu'on ne peut que se réjouir de voir, après la Lumière des morts, un deuxième roman de Di Rollo, deux ans après sa sortie au Bélial, arriver chez Folio. D'autant que ni le titre, ni la couverture, ni la quatrième de couverture ne trompent sur la marchandise. L'acheteur pas au courant, errant par exemple dans un kiosque de gare, lit qu'il a affaire à « une des voix les plus tranchantes de la Science-Fiction française » mais il sent de toute façon qu'il n'aura pas affaire à une des plus guillerettes, et qu'il achète le droit de prendre de grands coups de poings assénés directement à l'estomac.

On peut discuter de l'aspect “anticipation”. Pinailler sur les incohérences, non d'un avenir où diverses houilles remplacent le pétrole — les réserves connues sont de quarante ans pour celui-ci contre deux siècles pour celles-là — mais d'un monde où la situation est partout celle de l'Europe occidentale pour la disponibilité des dites houilles, et où nul pays ne semble utiliser, même marginalement, d'autres sources d'énergie, le nucléaire ayant été unanimement banni et les énergies renouvelables (y compris les plus traditionnelles, comme l'hydro-électricité) semblant rayées du champ des possibles. De même, la quasi-disparition de l'eau potable, sauf comme produit de luxe, n'est pas très cohérente avec l'existence de pluies acceptables — il y aurait sans doute eu à creuser du côté de pluies acides, si acides que s'en servir comme douches naturelles poserait quelques problèmes. Et l'invention géniale permettant d'utiliser de nouveau l'énergie solaire, malgré la pollution qui obscurcit le ciel, pourrait difficilement être faite de façon si isolée qu'elle ne soit pas reproductible… On ajouterait bien d'autres menues incohérences, à commencer par la coexistence de niveaux technologiques extraordinairement divergents. Ou le fait que, loin des menaces concrètes de réchauffement incontrôlable, on soit du côté d'un enfer froid.

Mais tout ceci n'a très exactement aucune importance. Di Rollo ne fait pas de la prospective, il cogne. Il ne dessine pas des cascades de conséquences logiques, mais coince le lecteur dans une série d'images auxquelles il offre une apparence de cohérence, de justification, de rationalité, parce qu'il faut bien qu'il y ait une histoire. Un peu comme dans la Lumière des morts, il mêle la faune africaine sauvage à la déglingue et la paupérisation généralisées, depuis un hippopotame efflanqué agonisant dans une galerie de mine jusqu'à la hyène de la couverture, qui n'apparaît d'ailleurs que bien tardivement, en passant par un buffle fou furieux. Et toujours comme dans la Lumière des morts, il ne lésine pas sur la violence, le meurtre gratuit — et théorisé comme tel —, la noirceur, le souvenir de la mort de proches comme moteur des agissements d'un personnage, etc. Cela s'accumule, et pourrait lasser, mais l'excès même est sans doute son propre antidote, et l'écriture est bien assez efficace, et prenante, pour ne pas lasser. D'autant que tous les éléments, même les plus disparates, finissent effectivement par converger et trouver leur place dans le puzzle — ou plutôt dans le cauchemar : c'en est un plus encore qu'un récit. Et de ce point de vue, ses incohérences logiques font peut-être sa force : il joue sur des choses fort profondément enfouies, des images, des angoisses, des irrationalités, des stéréotypes réaménagés, des collages improbables, des brisures familiales et sociales, des simplifications radicales. Et on ne ressort pas en très bon état de ce coup de gueule nihiliste, où il n'y a pas de solution collective, et où l'on détruit de ses mains la porte de sortie possible — pour en arriver à une royauté dérisoire née elle aussi de la violence.

Avec plus de temps et de place, et moyennant une relecture des autres romans de Di Rollo, et une recherche systématique de ses nouvelles, il serait tentant de poursuivre l'analyse, et en particulier de creuser le rapport entre l'individu et la société, de s'interroger sur la situation du personnage central, de disserter sur des refus et des anathèmes qui n'épargnent à peu près rien, d'en faire une lecture sociale — et psychologique pendant qu'on y est : il y a largement matière. Dans un cadre plus restreint, on peut se contenter de noter la force d'impact du roman, sa noirceur, sa désespérance, se contenter aussi d'en recommander la lecture à qui n'est pas dépressif, et d'espérer que cette réédition aura été vécue par l'auteur comme un encouragement mérité.