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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 57 les Sentinelles de la nuit

Keep Watching the Skies! nº 57, août 2007

Sergueï Loukianenko : les Sentinelles de la nuit

(Ночной дозор)

roman fantastique

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chronique par Philippe Paygnard

Malgré les apparences, Anton Gorodetski est loin d'être un homme ordinaire. Il fait partie des Autres. Comme beaucoup avant lui, il a dû faire un choix décisif lorsqu'il a découvert qu'il possédait de faibles, mais bien réelles, capacités surnaturelles. Il lui a fallu choisir entre l'Ombre et la Lumière, entre le Mal et le Bien, entre le Jour et la Nuit. Ayant opté pour la Lumière, il a alors intégré le Contrôle de la Nuit. Le but de cette organisation, dont l'existence est dissimulée aux yeux du commun des mortels, est de veiller à ce que la trêve millénaire conclue entre les Défenseurs du Bien et les Forces du Mal soit respectée. Informaticien, Anton met ainsi ses compétences techniques au service du Contrôle de la Nuit, mais son chef, le très mystérieux Boris Ignatievitch, décide de lui confier sa première mission de terrain. En solo, il doit donc débusquer le vampire qui braconne dans les rues moscovites.

Un an après la sortie en France du film Night watch, voici qu'arrive le roman qui a inspiré ce véritable blockbuster du cinéma russe1. Il serait donc facile de pointer du doigt les nombreuses différences existant entre le long-métrage et le livre, mais il est peut-être plus intéressant de se concentrer sur cet exemple de littérature de l'imaginaire russe.

La parution en France de tels ouvrages est suffisamment rare pour en devenir remarquable. Je me souviens pourtant, qu'il y a quelques lustres déjà, le Fleuve Noir avait publié quelques-unes des œuvres d'Arcadi et Boris Strougatski. Mais, je dois avouer qu'à l'époque, j'avais eu un certain mal à aller jusqu'au terme des romans proposés, trop lents, trop philosophiques ou trop slaves. Ce qui n'est pas le cas des Sentinelles de la nuit, mondialisation littéraire oblige.

Les Sentinelles de la nuit n'est que le premier volume d'une tétralogie en court d'écriture consacrée au conflit latent entre l'Ombre et la Lumière. Ce tome inaugural, et tout particulièrement la première des trois histoires qui le composent, permet de découvrir cet étrange et bien instable équilibre entre le Bien et le Mal qui résulte d'un traité millénaire conclu entre les deux parties. Le Contrôle de la Nuit, dont fait partie Anton Gorodetski, est une sorte de force de police surnaturelle qui veille à ce que les mages noirs, les vampires, les lycanthropes et autres créatures de la nuit agissent conformément aux directives du traité et ne s'attaquent pas aux humains innocents en dehors des rares permissions délivrées par ce même Contrôle. Respectant une dichotomie obligée, Loukianenko décrit également le Contrôle de Jour, composé de mages noirs, qui empêche les mages blancs de faire trop de bonnes actions susceptibles de porter atteinte au fragile statu quo. Ceci étant posé, le romancier s'amuse, bien évidemment, à laisser ses personnages enfreindre les règles qu'il vient de fixer. Les chefs des deux Contrôles semblent ainsi n'avoir qu'une ambition, celle de faire triompher leur camp, en utilisant les procédés les plus retors qui soient. Et à ce jeu, les forces du Bien ne sont pas les moins actives. Au milieu de ces complots, intrigues et machinations, Anton Gorodetski apparaît rapidement comme le Candide pas si naïf que cela qui découvre peu à peu qu'il n'est qu'un pion dans une partie d'échecs imaginée par son chef. Il se rend bien vite compte qu'il existe de nombreuses nuances de gris entre le noir le plus sombre et le blanc le plus lumineux.

Par bien des aspects, et même s'il joue à fond la carte du Fantastique, le récit de Sergueï Loukianenko n'est finalement pas sans rappeler ces jeux d'espions que la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide semblaient avoir définitivement remisés aux oubliettes. Mais l'un des points forts de ce roman reste cependant le dépaysement puisque Loukianenko nous fait visiter des coins et des recoins de sa Russie natale en commençant par sa capitale, Moscou. Et, au-delà de ces seuls paysages, il nous fait aussi découvrir l'humain qui est dans chaque Autre et les relations qu'il est obligé de reconstruire lorsqu'il accepte des pouvoirs l'éloignant définitivement du commun des mortels. Avec ses Sentinelles de la nuit et ses suites annoncées, Loukianenko livre une œuvre rafraîchissante qu'il serait bête de ne pas goûter.

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Notes

  1. Le terme de blockbuster n'est pas usurpé pour un film qui a réalisé, en Russie, un nombre d'entrées supérieur à la trilogie du Seigneur des anneaux, et qui a bénéficié d'une sortie internationale, y compris sur le sol des États-Unis, même s'il a été quelque peu américanisé par son distributeur pour ce faire.