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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 58 50° au-dessous de zéro

Keep Watching the Skies! nº 58, novembre 2007

Kim Stanley Robinson : 50° au-dessous de zéro

(Fifty degrees below)

roman de Science-Fiction

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chronique par Pascal J. Thomas

50° au-dessous de zéro est une suite directe des Quarante signes de la pluie, le roman d'anticipation à court terme de Robinson sur le changement climatique dont le point culminant était l'inondation de Washington à la suite d'un ouragan d'une puissance inédite — et tout ça avant Katrina, bien entendu. Suite directe au point que je recommande d'avoir bien en tête les péripéties du premier volume avant d'attaquer le second — je me suis retrouvé à relire ledit volume précédent, c'est dire1. Et pourtant, ce second livre a un caractère bien différent du premier, comme si l'auteur s'était laissé gagner par son sujet au point de produire un livre bien différent de son — hypothétique — projet de départ.

Bref rappel du volume 1 : l'action est centrée autour de la National Science Foundation, l'organisme central de financement de la recherche aux USA. La plupart des scientifiques qui y travaillent sont des chercheurs (universitaires) embauchés sur des contrats d'un an, ou de quelques années ; leur expérience scientifique leur permet de coordonner l'évaluation de toutes les demandes de subvention qui sont adressées à la NSF par des chercheurs de base, ou des groupes de chercheurs.

Anna Quibler, statisticienne, est un personnage central du premier volume — non parce qu'elle est le plus important, mais parce qu'elle fait le lien entre les autres : son mari Charlie, qui a choisi de rester à la maison pour s'occuper des enfants, mais ne peut s'empêcher de continuer à travailler pour le sénateur Phil Chase, une des rares personnes à Washington à être consciente des dangers qui pèsent sur le climat ; sa directrice, Diane Chang, à la tête de toute la NSF ; ses amis Tibétains deux fois exilés, de leurs montagnes, et de leur refuge insulaire de Khembalung ; son collègue et voisin de bureau, Frank Vanderwal, biomathématicien obsédé par la sociobiologie, qui rêve de retourner à San Diego pour y retrouver son job à UCSD et ses intérêts dans une société de biotechnologie dont le scientifique en chef, Leo Mulhouse, se désespère des manœuvres malhonnêtes de son patron…

Frank était à de nombreux points de vue le personnage le plus négatif de Quarante signes de la pluie : récemment séparé, il laisse son obsession sexuelle envahir ses fantasmes, et se sublimer en théories sur l'accouplement des primates ; actionnaire de start-up, il y engloutit les économies de sa petite amie, puis manipule le processus d'évaluation des projets pour essayer de dévier la carrière d'un jeune prometteur vers une entreprise dans laquelle il est impliqué. Pourtant, l'excès de ses incessantes complaintes, son amour de l'exercice physique, et finalement un amour bien charnel et comme tombé du ciel — remonté du métro, pour tout dire — le transfigurent et le convainquent de rester à Washington, où il acquiert une position de responsabilité accrue au sein de la NSF.

À l'ouverture du deuxième volume, le projecteur est mis sur Frank. Il refuse, sans se l'avouer, de chercher un appartement pour cette nouvelle année, et finit par se retrouver SDF de luxe, vivant entre un camping car et une cabanne dans les arbres du parc de Rock Creek, au cœur de la cité. C'est l'occasion pour Stan Robinson de renouer avec son intérêt pour les sans-domicile (voir "Dans la dèche en l'an 2000", une nouvelle des années 80, déjà située à Washington), mais aussi pour la randonnée, et les sports d'extérieur en général. On pourrait même conjecturer que Charlie, homme au foyer, papa-gâteau, et Frank, campeur, coureur de fond, grimpeur, représentent deux aspects autobiographiques — transformés — de la personnalité de l'auteur.

En lisant de la Science-Fiction, nous avons l'habitude de livres dominés par leur intrigue. Celui-ci est guidé par un personnage, Frank, qui est partout : responsable de projets nouveaux et audacieux à la NSF, bénévole lancé à la poursuite des animaux échappés du zoo (lors de l'inondation, cf. livre précédent), amoureu fou entraîné dans un théâtre d'ombres (sa dulcinée est une espionne professionnelle…). On regrette les sympathiques Quibler (qui sont toujours là, mais moins souvent présents), et les personnages californiens (disparus du radar).

Il faut reconnaître que le livre ne cherche pas spécialement à être de la S.-F. Au point même que, alors que le sujet est bien le changement climatique accéléré et erratique — le livre est fidèle à son titre —, les événements impressionnants qui ponctuent le roman sont parfois traités avec moins d'insistance technique que la S.-F. n'en a coutume. Par exemple, la submersion de Khembali ou le ressalage de l'Atlantique Nord sont ne semblent pas avoir été investis de toute la charge dramatique que l'on aurait pu en attendre.

Il y a, par contre, une accumulation de détails techniques sur la survie par grand froid, au point qu'elle a fini par me lasser ; elle est, il faut le dire, donnée du point de vue des clochards en danger de mort, et non de celui des ingénieurs du climat mondial — dont la S.-F. aurait plus souvent tendance à adopter le point de vue.

La trilogie climatique de Robinson relève aussi, surtout peut-être, de la politique-fiction. La caricature à laquelle il se livre de George W. Bush ne le fait plus rire, et il se livre à des charges directes contre la bêtise criminelle des Républicains. Au point que, alors même qu'il décrit des retournements qui devraient nourrir un certain optimisme, il nous donne un livre beaucoup plus pessimiste que le précédent. Mais sans doute plus marquant — en attendant le troisième…

Notes

  1. Et ce n'a pas été une panacée : les rappels faits par l'auteur aux événements du livre précédent semblaient, du coup, superflus…