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Keep Watching the Skies! nº 58, novembre 2007

Jean-Christophe Grangé : le Serment des limbes

roman policier

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chronique par Philippe Paygnard

En apprenant que Luc Soubeyras, son collègue et ami, se trouve plongé dans un coma probablement irréversible à la suite d'une incompréhensible tentative de suicide, le commandant Mathieu Durey, de la Brigade criminelle parisienne, abandonne toutes les affaires en cours pour découvrir les raisons de ce geste insensé. Fervent catholique, Mathieu a beaucoup de mal à admettre que son meilleur ami ait pu choisir de se donner la mort. Menant son enquête auprès des subordonnés de Luc, puis de son épouse, il ne tarde guère à découvrir que son ami menait, depuis plusieurs mois, des recherches personnelles sur une série de meurtres étranges qui l'obsédaient plus que de raison. Reprenant à son compte les investigations de Luc, Mathieu va refaire le chemin parcouru par son ami. Après de nombreux détours, du chaud quartier africain de la capitale jusqu'à une petite ville trop tranquille du Doubs, de la Sicile jusqu'au Vatican, en passant par la Pologne, l'enquête de Mathieu le mener sur la piste d'un tueur qui ne peut être que le Diable lui-même. Un Diable qu'une accumulation d'indices concordants rend de plus en plus réel aux yeux de Mathieu, et surtout, un Diable qui laisse, à travers l'Europe, une piste sanglante semée de morts particulièrement atroces.

Avec le Serment des limbes, Jean-Christophe Grangé offre un deuxième opus à sa très informelle trilogie du Mal. Cette dernière a été inaugurée, en 2004, avec la parution de la Ligne noire et elle prend forme avec cette nouvelle plongée aux sources du Mal. Il faut remarquer que cette trilogie ne s'organise pas autour d'un ou de plusieurs de héros récurrents. On se souvient ainsi que le personnage principal de la Ligne noire est un certain Marc Dupeyrat, journaliste, qui cherche à comprendre les motivations d'un terrifiant tueur en série. Celui du Serment des limbes est un policier, Mathieu Durey, qui veut percer le mystère de la tentative de suicide de son meilleur ami. Ainsi, le seul véritable point de convergence entre ces deux romans1, ainsi qu'avec un troisième à venir, c'est le Mal. Dans la Ligne noire, le Mal emprunte la forme physique de Jacques Reverdi, un tueur en série, habité par une inquiétante folie meurtrière. Pour le Serment des limbes, c'est un Mal qui prend sa source au cœur du religieux et que l'on appelle communément le Diable.

Mettant en scène un policier fort peu conventionnel, le dernier roman de Jean-Christophe Grangé ne peut que rappeler les Rivières pourpres, le livre qui fit connaître et reconnaître le romancier auprès des amateurs de polars, des cinéphiles et d'un plus vaste public encore. Ce personnage de flic en délicatesse avec l'autorité et la hiérarchie est l'un des nombreux points communs que partagent ces deux livres qui parlent, presque d'une même voix, de vengeance et de crimes en série dans des ambiances provinciales très proches. Cependant, au-delà de ces ressemblances évidentes, les deux romans apparaissent comme des œuvres très différentes.

Par la forme d'abord, puisque Mathieu Durey est le narrateur de cette enquête écrite à la première personne. C'est à travers lui, et lui seul, que les lecteurs découvrent les crimes que le Diable commet ou qui sont commis en son nom. Quant aux Rivières pourpres, elles sont écrites à la troisième personne et les différents chapitres qui les composent alternent entre les deux personnages principaux que sont le commissaire Pierre Niémans et le lieutenant Karim Abdouf, jusqu'à leur inévitable rencontre.

Ces deux romans divergent également par le fond, puisque les Rivières pourpres s'avère être un pur thriller où deux policiers enquêtent, au-delà d'une série de crimes horribles, sur une petite communauté universitaire qui dissimule de lourds secrets. Alors que le Serment des limbes, flirtant plaisamment avec le Fantastique, est une véritable quête mystique et métaphysique, au terme de laquelle le personnage principal risque se trouver face à face avec le Diable.

Par ses nombreuses références directes et indirectes à la religion2, le Serment des limbes fait aussi immanquablement penser au Da Vinci code de Dan Brown. Cependant, hormis l'intrusion du religieux dans une intrigue policière, le roman de Jean-Christophe Grangé n'a réellement aucun lien de parenté avec celui de l'auteur de best-sellers américain.

Ainsi, tout au long de son enquête, Mathieu Durey collecte indices et témoignages qui semblent prouver l'existence d'un Diable qui tue selon un modus operandi particulièrement épouvantable. Satanistes et exorcistes sont également au rendez-vous, mettant à rude épreuve l'esprit d'analyse et de logique de ce policier qu'un séjour au Séminaire et une expérience traumatisante au Rwanda ont peut-être inconsciemment préparé à une rencontre physique avec le Diable. L'imminence de ce face-à-face, pourtant si improbable dans un polar, devient presque une certitude au fil des chapitres concoctés par Jean-Christophe Grangé, jusqu'à la révélation finale que je me garderai bien d'évoquer plus avant dans ces quelques lignes. Quant à savoir si le Serment des limbesest un roman policier ou bien une œuvre appartenant au genre Fantastique, la question reste posée jusqu'aux ultimes pages de ce livre.

Pour autant, l'incursion d'éléments fantastiques dans les œuvres de Jean-Christophe Grangé n'a rien d'incongru, ni de surprenant. Dans le Concile de pierre, Diane Thiberge mène ainsi une quête désespérée pour retrouver son fils adoptif disparu, qui la conduira jusqu'aux confins de la mystérieuse Mongolie et aux frontières d'un univers surnaturel. Des pouvoirs psychiques qui sont également au centre de la Malédiction de Zener, une trilogie en bandes dessinées3 cosignée par Jean-Christophe Grangé et Philippe Adamov (l'excellent dessinateur des cycles du Vent des dieux et des Eaux de Mortelune), qui s'intéresse tout particulièrement à Sibylle Thiberge, la mère de l'héroïne du Concile de pierre. Il suffit aussi de se remémorer l'unique scénario original que Jean-Christophe Grangé a écrit pour le cinéma, ce Vidocq réalisé par Pitof4, où se percutent allégrement l'Histoire, puisque l'action se situe en 1830, à la veille de l'abdication de Charles X ; l'enquête policière, menée par Étienne Boisset le jeune biographe de Vidocq ; et le Fantastique, à travers le mystérieux personnage de l'Alchimiste dont le masque vole les âmes de ses victimes tandis que son porteur leur vole la vie.

Naviguant tout au long de ses quelque six cent cinquante pages entre le Polar et le Fantastique, le Serment des limbes est d'ores et déjà un best-seller. Son découpage quasi-cinématographique, en chapitres courts (pas moins de cent vingt-deux !) et efficaces, laisse penser qu'il pourrait très vite devenir un très bon film à grand spectacle5. Malin et efficace, ce livre démontre, s'il en était encore besoin, la totale maîtrise du suspense atteinte par un Jean-Christophe Grangé qui, s'il continue ainsi, pourrait fort bien franchir définitivement la frontière, pas si hermétique que cela, qui sépare le Policier du Fantastique.

Notes

  1. Il existe cependant un autre lien entre ces deux romans puisque l'un des meurtres diaboliques du Serment des limbes a lieu à l'endroit même où Jean-Christophe Grangé situe l'épilogue de la Ligne noire, plus précisément à Catane en Sicile.
  2. Ce n'est certes pas innocemment si Jean-Christophe Grangé donne à deux des personnages principaux du Serment des limbes le prénom de deux évangélistes, Mathieu et Luc.
  3. Les deux premiers tomes de la Malédiction de Zener ont été publiés en octobre 2004 (Sibylle) et en septembre 2006 (le Clan des embaumeurs). Un troisième volume reste à paraître.
  4. Spécialiste français d'effets spéciaux et réalisateur par ailleurs d'un Catwoman de sinistre mémoire (malgré la présence de la charmante Halle Berry dans le rôle-titre), Pitof dirige, en 2001, cette variation fantastique autour du personnage de Vidocq. Dans ce film, le préfet de police Lautrennes (André Dussollier) et le jeune Étienne Boisset (Guillaume Canet) enquêtent en parallèle sur la mort de Vidocq (Gérard Depardieu), alors que ce dernier était sur les traces d'un mystérieux Alchimiste, supposé immortel, tueur de vierges et de notables.
  5. C'est tout le mal que l'on peut lui souhaiter après les errances des Rivières pourpres 2 (un film réalisé, en 2004, par Olivier Dahan, avec un Jean Reno toujours très crédible en commissaire Pierre Niémans, mais produit et scénarisé par Luc Besson) et après la non-rencontre entre les univers de Jean-Christophe Grangé et de Guillaume Nicloux, lors de la récente adaptation du Concile de pierre (avec Monica Belluci et Catherine Deneuve dans les rôles principaux).