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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 61 Futures from Nature

Keep Watching the Skies! nº 61, décembre 2008

Henry Gee : Futures from Nature

anthologie de Science-Fiction inédite en français

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chronique par Pascal J. Thomas

Un livre avec cent auteurs, voilà qui est suspect. Mais quand on trouve parmi les cent des noms comme Brian Aldiss, Neal Asher, Stephen Baxter, Greg Bear, Gregory Benford, Arthur C. Clarke, Cory Doctorow, Greg Egan, Joe Haldeman, Peter F. Hamilton, Ian R. MacLeod, Paul McAuley, Michael Moorcock, Frederik Pohl, Kim Stanley Robinson, Rudy Rucker, Robert Silverberg, Dan Simmons, Norman Spinrad, Bruce Sterling, Charles Stross, Joan D. Vinge, Vernor Vinge, Ian Watson, Scott Westerfeld, et Robert Charles Wilson, on se dit qu'il faudrait peut-être prendre un risque et jeter un œil.

La revue Nature est un des périodiques scientifiques les plus cités au monde, et quand elle se décide à publier de la S.-F. (comme elle l'a fait pour au moins deux séries de nouvelles ces dernières années), elle se donne les moyens de le faire comme il faut. Sans pour autant négliger les contributions d'une foule d'auteurs moins connus — j'ai privilégié dans ma liste ceux que les lecteurs de KWS pourraient connaître via leurs traductions en français, mais le sommaire fait place à une foule d'écrivains plus nouveaux, ou de gens dont la carrière s'est plutôt faite dans la science ou dans le journalisme scientifique que dans la littérature.

Objection évidente : comme une rapide division le démontre, tous ces braves gens doivent faire leurs preuves, et nous éblouir ou nous émouvoir, dans l'espace de trois pages chacun environ. Il faut pas mal d'ingéniosité pour mettre en place une intrigue dans un espace aussi réduit, c'est encore plus difficile de faire le portrait d'un personnage, et impossible de bâtir un monde original et cohérent. Beaucoup des auteurs se contentent donc d'une pirouette, ou d'une idée à l'état brut, ce qui fait basculer bien des textes dans le domaine de l'humour.

Pour ceux qui relèvent le défi, il faut s'appuyer sur le paysage implicite que le lecteur peut avoir en tête, et ces nouvelles prises dans leur ensemble reflètent “l'état de l'art” de la S.-F. actuelle, avec les thématiques dominantes et les développements hypothétiques qui constituent un ou plusieurs “futurs consensuels” du moment. Donc, beaucoup d'exploitation des progrès de la génétique (ou de la biologie en général), de l'informatique et de la robotique. Et un monde marqué par de nouvelles formes de criminalité. Un bon exemple est "the Aching of Dion Harper" d'Artur Chrenkoff, où l'on trouve un mélange détonnant d'assassins imparables et de copies d'humain ; mais la duplication d'identité engendre plutôt la peur d'être remplacé par un doppelgänger biologique (comme dans "Take over" de Jon Courtenay Grimwood) ou virtuel ("the Trial of Jeremy Owens" de Peter Roberts). Ce qui n'exclut pas l'hommage à la S.-F. du passé, que des vétérans du genre (Clarke, Pohl) poursuivent sur leur lancée, ou que des plus jeunes rendent hommage à leurs aînés (Gareth Owens cite C.M. Kornbluth dans "Tick-tock, curly-wurly", et Cory Doctorow donne une suite implicite — et virtuose — au Pavé de l'Enfer de Damon Knight avec son "Printcrime").

Comme toujours, certains textes se détachent de l'ensemble ; côté humour, vu le lieu de publication, on ne sera pas surpris de trouver une série de parodies d'article scientifiques, comme Charles Stross extrapolant le spam aux signaux reçus de l'espace interstellaire, David Eagleman montrant comment passer continûment du testament à la survie électronique après la mort ("a Brief history of death switches"), et Greg Egan mathématisant l'univers ("Only connect", sans grande tension dramatique, hélas) Bien d'autres formes de textes courts sont parodiées, dont les lettres de lecteur, les critiques de livres (Greg Bear nous donne une critique par un robot d'un roman écrit par un autre robot, Kim Stanley Robinson parodie une forme proche, mais moins connue : le rapport interne de lecteur de maison d'édition), les messages électroniques, les FAQ de listes de diffusion (David Langford en fournit un exemple désopilant) et même… les lettres de refus d'articles scientifiques (excellent texte d'Alastair Reynolds !).

Au niveau de la forme, le reportage (journal ou télévision, condensé ou pas) se taille la part du lion, et pas toujours dans un but humoristique : la prose journalistique est celle que nous utilisons tous les jours pour condenser en quelques phrases une situation inconnue et compliquée. Toujours ces satanées trois pages. La tension dramatique, souvent, ne survit pas au traitement.

Il y a pourtant des auteurs qui échappent à cet écueil, et arrivent à faire deviner leur société future, marquée par un développement technologique accéléré, en quelques phrases de dialogue ou par une réflexion lancée comme après coup par un personnage. Neal Asher en fournit un bon exemple. Mais le développement de la science médicale n'améliore pas les qualités morales de l'humain ; dans "Forever kitten" de Peter F. Hamilton, un millionnaire veut employer un chercheur pour que son enfant ne grandisse jamais ; dans "the Punishment fits the crime" de David Berreby, la manipulation fine des fonctions du cerveau est utilisée pour punir ceux qui nourrissent des opinions déviantes. Les intelligences artificielles peuvent commencer comme copies de personnalités, et servir au but plutôt trivial de gagner des élections ("the Candidate" de Jack McDevitt), mais peuvent aussi devenir les maîtres du monde (le très réussi "Gordy gave me your name" de Jim Giles, qui a les qualités d'un conte de fées ; le sardonique "Play it again, Psam" d'Ian Stewart, où l'I.A. prend les traits d'un virus informatique propagé dans les cerveaux humains eux-mêmes).

Vous aviez déjà compris que je ne pouvais parler de toute l'anthologie, ni même de tout ce qui est bon dedans. Et il y en a beaucoup plus qu'on aurait pu le croire. Il faut aimer une S.-F. qui fait la part belle à l'univers des scientifiques (ce que je trouve naturel quand on aime la S.-F., mais qui n'est pas forcément étayé par un recensement de la production éditoriale actuelle en la matière…), mais ce livre réserve beaucoup de plaisirs et d'agréables surprises. À ne pas toutes gober d'un coup ; c'est comme les cacahuètes, on peut se donner une indigestion…