Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 61 the Accidental time machine

Keep Watching the Skies! nº 61, décembre 2008

Joe Haldeman : the Accidental time machine

roman de Science-Fiction inédit en français

 chercher ce livre sur amazon.fr

chronique par Pascal J. Thomas

Lire ce livre, c'est comme manger du chocolat. Un plaisir coupable, un plaisir auquel on n'a pas droit — parce qu'on le paiera plus tard, parce qu'on y perd le contrôle de soi, parce qu'à quoi bon, on connaît déjà ce goût, non ? Pourtant le plaisir ne se laisse pas arrêter.

On démarre gris, froid et humide, pendant l'hiver à Cambridge, Massachusetts (banlieue de Boston qui abrite Harvard et le MIT), cinquante ans dans notre futur. Au Massachusetts Institute of Technology, Matt Fuller est un moniteur doctorant en physique sans perspective, qui bricole de l'équipement expérimental pour son patron pendant que sa thèse fait du surplace. C'est alors qu'un calibrateur de photons (non, je ne sais pas moi non plus) qu'il était en train d'assembler acquiert, à la surprise de tous, la capacité à sauter en avant dans le temps. Avec des sauts dont la durée est multipliée par douze à chaque répétition de la manip. Tandis qu'on peut expérimenter sur des sauts de quelques secondes, avec des intervalles de temps qui croissent exponentiellement, Matt décide d'accompagner les sauts en connectant la machine à la carrosserie métallique d'une voiture qui puisse le porter, lui et son bagage.

Matt sera obligé de sauter plus vite et plus loin qu'il ne l'aurait voulu — fuyant les problèmes provoqués par ses choix plutôt irréfléchis, comme d'avoir emprunté ladite voiture à un copain dealer, ou d'avoir cédé aux avances d'une ancienne petite amie désormais mariée… Vous devinez : tel Rip Van Winkle, Matt va courir vers l'avenir, tout en se munissant en chemin d'une compagne plus adéquate. Et va, bien sûr, résoudre ses problèmes à l'aide d'une pincée de paradoxe temporel.

Joe Haldeman, m'apprend la quatrième de couverture, enseigne désormais au MIT. Bien loin de son domicile de Floride. Le début du livre est truffé de détails vécus sur les campus bostoniens — que j'ai dévoré avec d'autant plus d'avidité que j'avais, il y a bien longtemps, passé un an là-bas comme étudiant, dans le cadre d'un programme d'échanges. Et même si j'étais censé compléter mon éducation sur les vertes pelouses de Harvard, en vrai obsédé de S.-F., je ne pouvais m'empêcher de revenir régulièrement aux couloirs nettement plus défraîchis du MIT, notamment à cause de la MIT Science Fiction Society, dont à l'époque je dévorai goulûment la bibliothèque. À la lecture de ce roman récent de Haldeman, coule dans mes veines le même plaisir brûlant qu'il y a trente ans me procurait la S.-F.

Ce n'est ni hasard, ni nostalgie olfactive déclenchée par le papier poussiéreux. Aujourd'hui, Haldeman enseigne l'écriture ; et ce livre pourrait servir aux étudiants de liste implicite de lectures recommandées. La référence à la Machine à voyager dans le temps est déjà présente dans le titre — le vélocipède ayant cédé la place à une Ford Thunderbird millésimée, mise à jour bien venue. Fidèle à son titre, le livre propose un certain nombre de tableaux de l'évolution de l'Humanité, avec des horizons toujours plus lointains. On n'oublie pas que la fuite en avant dans le temps était, déjà, un motif fondamental dans la Guerre éternelle ; et puisque ce roman fondateur de Haldeman était bâti sur le rapport dialectique avec Étoiles, garde-à-vous ! de Heinlein, on notera que le paradoxe temporel (modéré) qui conclut le livre pourrait faire figure de clin d'œil à "Vous les zombies…". Mais c'est un point de détail.

La plus grande part du livre se déroule cinquante ans dans notre futur, puis un ou deux siècles plus tard, puis un millénaire. Ce qui permet la description de mondes bien différents. D'abord, une société similaire à celle du protagoniste, mais où le décalage entre son âge biologique et sa date de naissance le met en porte-à-faux, avec des effets surtout humoristiques. Deuxièmement, une société post-cataclysmique, où une théocratie totalitaire a pris le contrôle de la Côte Est des États-Unis. Troisièmement, une société d'abondance garantie par les machines, où la plupart des humains ne se posent pas de questions et passent leur temps de loisir permanent à jouer à quelque chose qui rappelle un super-eBay. Les voyages suivants rompent toute continuité historique, et les séjours se font plus courts sur des versions de la Terre qui sont de plus en plus hostiles à la vie humaine telle que nous la connaissons. On pourra crier à la Singularité, mais on retrouve encore des traces de la Machine de Wells.

Même s'il est difficile de nommer des références, tous les mondes futurs décrits dans le livre vous rappelleront d'autres livres de S.-F. L'auteur semble avoir investi plus passionnément le passage le plus long, celui sur la dystopie théocratique — sans doute sa réaction à l'influence de la droite religieuse aux USA. Mais aussi, d'une certaine façon, une inversion d'un classique respecté de la S.-F., un Cantique pour Leibowitz de Walter M. Miller, Jr. À l'endroit ou à l'envers, Haldeman nous fait réviser un vaste pan de l'histoire du genre.

Cela pèse toutefois peu face au plaisir de ce chocolat à 97 % de S.-F. J'ai trop lu de Fantastique sérieux (et très bon) sans oser m'avouer que bien souvent, je m'ennuyais. On ne se refait pas. Il était temps que je me remette à la S.-F., crasseuse et malpolie. Je ne sais pas résister au plaisir…