KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Dacre Stoker & Ian Holt : Dracula l'immortel

(Dracula the un-dead, 2009)

roman fantastique

chronique par Philippe Paygnard, 2010

par ailleurs :

Londres, 1912. Les années ont passé mais le docteur Jack Seward n'a pas oublié les événements dramatiques qui frappèrent, il y a vingt-cinq ans, ses amis Jonathan et Mina Harker. Il n'a pas oublié le monstre qu'ils affrontèrent avec l'aide de leurs amis Arthur Holcomb, Quincey Morris et du professeur Abraham van Helsing. Il n'a rien oublié et ce n'est pas un souvenir qu'il traque aujourd'hui mais le monstre sanguinaire qu'ils pensaient avoir détruit : Dracula !

Suite officielle du plus célèbre roman vampirique, l'incontournable Dracula écrit par Bram Stoker et publié en 1897, ce Dracula l'immortel arrive un peu tard. Il eût certainement été parfait s'il était venu célébrer le centenaire de l'œuvre originale, en 1997 ; aujourd'hui, il n'est qu'un livre de vampires parmi d'autres, tentant de profiter de l'actuel renouveau de ce sous-genre. En effet, depuis 2005, avec la parution de Fascination (Twilight), premier volume de la tétralogie romantico-vampirique écrite par Stephenie Meyer, des suceurs de sang, tout à la fois charmeurs et terrifiants, envahissent les rayonnages des librairies, mais aussi les petit et grand écrans. Ainsi, à la télévision, s'inspirant de la série de romans la Communauté du sud (the Southern vampire mysteries) de l'écrivaine américaine Charlaine Harris, le scénariste Alan Ball (Six feet under) développe, en 2008, la série True blood, dont les sulfureux épisodes sont diffusés sur la chaîne câblée HBO aux États-Unis et sur Orange Cinémax, puis NT1 en France. De son côté, Kevin Williamson (Dawson's Creek) crée the Vampire diaries en adaptant librement, en 2009, les livres pour ados de la romancière britannique L.J. Smith, pour la chaîne américaine CW. De leur côté, les réalisateurs Catherine Hardwicke, Chris Weitz et David Slade se succèdent pour diriger, en 2009 et 2010, les trois premiers films tirés de la saga Twilight. À regarder l'ensemble de ces productions, même rapidement, on peut constater qu'il existe un point commun entre elles. Elles mettent toutes en scène les relations amoureuses, toujours passionnées, parfois charnelles et forcément contre nature, entre une jeune femme et un vampire plus que centenaire. Mêlant romantisme et fantastique, faisant se rencontrer Éros et Thanatos, ces nouvelles déclinaisons du mythe vampirique ne font finalement que reprendre la recette qui fit le succès du Dracula de Bram Stoker.

Avec Dracula l'immortel, Dacre Stoker, arrière-petit-neveu de Bram Stoker, et son comparse Ian Holt jouent la carte d'une certaine fidélité à l'œuvre originale en faisant réapparaître chacun des personnages du livre, même si certains sont destinés à rapidement subir un sort funeste. Ils s'appuient pour cela sur de rares notes manuscrites laissées par Bram Stoker et, bien évidemment, sur son roman. À cette fidélité de façade, ils enlèvent immédiatement ce qui faisait l'une des originalités de l'œuvre de 1897, à savoir sa narration épistolaire. Ils modifient également la chronologie la plus communément admise en replaçant les événements décrits dans le Dracula de Bram Stoker durant l'année 1888. Cela leur permet de faire du plus célèbre des vampires le suspect potentiel des crimes survenus dans le quartier de White Chapel cette année-là, et attribués au toujours mystérieux Jack l'Éventreur. Cette modification leur permet également d'avoir un Quincey, le fils de Mina et Jonathan Harker, adulte, en 1912, mais aussi de pouvoir intégrer à leur récit nul autre que Bram Stoker, qui devient ainsi l'un des protagonistes de Dracula l'immortel. Enfin, ils ajoutent à l'aventure quelques bonnes idées comme la nature mi-humaine mi-vampirique de Mina Harker et l'apparition d'une suceuse de sang bien connue en la personne d'Elisabeth Báthory.

Hélas, toutes ces innovations ont déjà été utilisées et parfois même réutilisées dans d'autres livres, bandes dessinées, films et séries télévisées. Car, bien avant le Dracula l'immortel de Dacre Stoker et Ian Holt, d'autres auteurs ont apporté leur contribution à la carrière vampirique du comte Dracula.

Ainsi, dès 1992, le romancier britannique Kim Newman fait se croiser Dracula, Jack l'Éventreur et Elisabeth Báthory dans la réalité alternative d'Anno Dracula. Ce roman, où se mêlent héros de fiction et personnages réels, permet une brève apparition de Bram Stoker lui-même et une bien plus longue de sa veuve Florence.

Présentée par Stoker et Holt comme une véritable rivale de Dracula, le personnage historique de Báthori Erzsébet (1560-1614), surnommée la Comtesse sanglante ou la comtesse Dracula, est la source d'inspiration de plus d'un créateur. Depuis les Lèvres rouges, un film réalisé par Harry Kümel en 1971, avec Delphine Seyrig dans le rôle principal, jusqu'à la Comtesse de et avec Julie Delpy en 2010, elle est ainsi la très maléfique héroïne ou inspiratrice d'une bonne demi-douzaine de longs-métrages. Son vénéneux personnage apparaît également dans plusieurs bandes dessinées au caractère érotique prononcé, ainsi qu'au cœur des enfers imaginés par les auteurs de BD Pat Mills et Olivier Ledroit pour la série Requiem, chevalier vampire, publiée depuis 2000 par les éditions Nickel.

Pour sa part, le talentueux scénariste et romancier anglais Alan Moore, après une très intéressante variation autour de Jack l'Éventreur (From Hell), intègre, en 1999, une séduisante version de Mina Murray à sa League of extraordinary gentlemen. Illustrée par Kevin O'Neill, cette Ligue de gentlemen extraordinaires regroupe, autour de Mina, le capitaine Nemo (de Jules Verne), Allan Quatermain (de H. Rider Haggard), l'Homme invisible (de H.G. Wells) et le docteur Jekyll et mister Hyde (de Robert Louis Stevenson). Publiées aux États-Unis par America's Best Comics (1999-2007), puis par Top Shelf (depuis 2009), les aventures de la Ligue paraissent en France sous les couleurs des éditions USA (2001-2003) et Delcourt (depuis 2010). Cette excellente bande dessinée fait d'ailleurs, dès 2003, l'objet d'une adaptation cinématographique par le réalisateur Stephen Norrington (déjà responsable de la version cinéma de Blade le chasseur de vampires), qui donne un réel mordant à sa Mina Harker et ajoute Dorian Gray (d'Oscar Wilde) et Tom Sawyer (de Mark Twain) à la fine équipe de justiciers.

Tandis que le romancier américain Fred Saberhagen, créateur de la série de Science-Fiction les Berserkers, permet à Dracula de croiser le plus célèbre des détectives anglais dans son livre le Dossier Holmes-Dracula (the Holmes-Dracula file), en 1978.

Enfin, la Britannique Freda Warrington propose, en 1997, un Retour de Dracula (Dracula the undead) bien plus fidèle, par la forme comme par le fond, à l'œuvre originale de Bram Stoker. Respectant la chronologie du roman des origines, elle intègre ainsi à son récit un Quincey Harker qui n'est encore qu'un enfant âgé de sept ans. De son côté, le scénariste de BD Marv Wolfman imagine, dans le comic book Tomb of Dracula (70 numéros publiés par Marvel Comics entre 1972 et 1979), la suite du combat qui oppose un Quincey Harker vieillissant et ses rares alliés (parmi lesquels un certain Blade) à un Dracula toujours aussi terrifiant et superbement dessiné par Gene Colan.

Si Dracula l'immortel ne peut pas être qualifié de mauvais livre — il est en effet fort correctement écrit et traduit —, on peut douter de sa réelle utilité. Ce roman n'apporte pratiquement rien au mythe du plus célèbre des vampires, présentant au surplus un comte Dracula qui a perdu tout mordant. Décidément, malgré la caution de l'ensemble des héritiers de la famille Stoker, cette très officielle suite ne supporte guère la comparaison avec son inestimable modèle.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010

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