KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Johan Heliot : Ordre noir

roman de Science-Fiction, 2010

chronique par Noé Gaillard, 2010

par ailleurs :

« […] rares également sont ceux qui peuvent répondre en toute quiétude et conscience qu'une partie de la planète aurait concentré en elle le Bien, la Vertu et la Morale. »

» De la sorte, en plébiscitant tous les romans qui, encore et encore, font revivre l'histoire du nazisme, les lecteurs ne chercheraient-ils pas à se persuader, bien inconsciemment, il est vrai, que le schéma qui présida au combat contre l'Allemagne hitlérienne est un schéma encore pertinent ? Et en nous présentant des personnages qui incarnent le Mal, romans et films à succès n'arrivent-ils pas à point nommé pour rassurer et déculpabiliser ? Permettant de croire qu'une des forces en présence s'est vouée au Mal et à la destruction, ils peuvent donner bonne conscience à ceux qui, d'un côté comme de l'autre, annoncent le “choc des civilisations”.

» Bref, il y a quelque chose d'inquiétant dans la fascination qu'exercent ces ouvrages, comme si l'éventualité d'une guerre était déjà acquise, et comme si nous en étions déjà arrivés à l'étape qui précède de peu le départ au combat ; à cette dernière étape avant la décision où nous avons besoin de nous persuader que le combat à mener est bien celui de la morale et de l'humanisme contre les forces du Mal. Ainsi les succès de ces romans seraient-ils les premiers signes que nous avons accepté l'éventualité de la guerre et qu'il ne nous reste plus qu'à nous persuader de son bien-fondé. Car, pour accepter non seulement de partir à la guerre, mais également d'envoyer nos enfants au front, il est sans doute indispensable de parvenir à penser que certaines forces peuvent incarner un Mal absolu, qu'il nous faut coûte que coûte, combattre. Sans que rien surgisse à la clarté de la conscience, à n'en pas douter les aventures de Frodon le Hobbit ou de Harry le sorcier nous aident à nous en persuader.

» Peut-être alors avons-nous répondu à notre question initiale : pourquoi donc la tâche de partir au combat est-elle confiée aux enfants Harry Potter ou Frodon ?‥ Soudain des phrases gravées sur les monuments aux morts se bousculent dans nos mémoires : “À nos enfants, morts pour la France” ; “Allons enfants de la Patrie”. »

Isabelle Smadja : "le Mal et l'enfant sauveur"(1)

On m'aura pardonné, j'espère, cette longue citation qui n'est pas dans mes habitudes et ceux qui auront vu la couverture du roman d'Heliot auront, je suppose, fait le rapprochement sans que j'aie besoin d'expliciter. J'enfoncerai un peu le clou en râlant comme à mon habitude. Il y en a un peu marre — passez-moi l'expression — de l'exploitation de cette veine qui banalise des faits atroces, ignobles qui finissent ainsi par nous laisser indifférents.

Donc n-ième mouture du nazisme avec un brin d'uchronie : les États-Unis présentés ici sont victimes d'un enlisement militaire en Asie qui les affaiblit ; deux forces en présence, celle d'organisations gouvernementales secrètes chargées de corriger les dérives de l'Histoire (imaginez que l'incident de Three Miles Island ait été un attentat ; une agence gouvernementale nous l'a transformé habilement en accident) et de lutter contre l'autre force : le Mal absolu. (Là j'ai personnellement beaucoup de mal à croire : quel plaisir à exercer le mal absolu ? La torture par l'espérance, le supplice des cent morceaux encore, je comprendrais, comme je peux comprendre le docteur Faust — mais je comprends moins bien le Diable, à moins qu'une collection d'âmes soit utile.)

Pour bien faire, Heliot agrémente son histoire d'enfants génétiquement modifiés et éduqués dans un centre particulier — façon le Caméléon ou les Quatre fantastiques — qui se font un peu la guerre.

Bien sûr, c'est écrit avec les qualités que l'on connaît à l'auteur, qui sait s'approprier les ficelles des genres qu'il utilise ou détourne, et nous les restituer avec finesse, mais j'ai l'impression qu'ici plus qu'ailleurs il nous livre un roman sans âme. Un roman dans lequel le lecteur ne peut endosser de rôle. Un roman pour voyeur que l'on se contente de lire/regarder en restant sur le bord de la route. Un roman pour adulte qui n'est plus enfant, à la différence des romans pour enfants ou ados pour lesquels il semble plus facile de susciter l'émotion. À croire qu'Heliot attende de nous, adultes, que nous utilisions notre conscience à le lire et non notre émotivité. Il me semble qu'un judicieux mélange des deux, savamment dosé, serait plus efficace et plus plaisant au lecteur.

Il serait bon toutefois que, malgré mes remarques, ce roman soit lu par un grand nombre ne serait-ce que pour entretenir une certaine vigilance à l'égard de ceux qui manipulent l'information.

Noé Gaillard → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010


  1. Dans Manière de voir, nº 111, juin-juillet 2010, spécial Mauvais genres.

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