KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Theodore Sturgeon : Un peu de ton sang suivi de Je répare tout

(Some of your blood & Bright segment, 1961 & 1955)

court roman et nouvelle fantastiques

chronique par Noé Gaillard, 2010

par ailleurs :

Deux bons textes de Sturgeon à ranger dans nos bibliothèques, voilà qui est bien, mais j'avoue que si on ne me l'avait pas signalé par le logo “FolioSF”, il ne me serait jamais venu à l'idée de les classer en Science-Fiction.(1) Le postfacier place d'ailleurs "Un peu de ton sang" côté “réalisme” et notre fameuse quatrième de couverture parle « d'horreur psychologique ». Cette qualification convient à mon sens au deuxième texte plus qu'au premier. Difficile en effet de classer le personnage principal “George Smith” parmi les monstres alors que le second anonyme relève de la galerie des Freaks tant pour son physique — pour ce que l'on en sait ou devine — que pour le comportement. On aura deviné que c'est sur le seul nom de Sturgeon que repose ce classement.

Pour "Un peu de ton sang", il faut que le lecteur ait toujours à l'esprit le fait que ce texte date de 1961, qu'il a aujourd'hui près de cinquante ans. On ne dira pas qu'il s'est bonifié comme un vin car il était excellent à l'époque. Imaginez un lecteur qui découvre un dossier qu'on lui présente comme relevant de la fiction et qui propose des documents épars : compte rendu de séance psy, lettre entre deux militaires, rapport-lettre d'une infirmière, récit autobiographique de George Smith, et qui se retrouverait en fin de texte avec la mention suivante : « Si le docteur Outerbridge revenait soudain, vous seriez bien obligé d'admettre qu'il existe réellement et que cette histoire est vraie. Et ça ne ferait pas votre affaire, n'est-ce pas ? ». George Smith relève de la psychiatrie parce qu'il a frappé un officier, mais aussi pour une autre raison qui fait qu'il a tué (sans tuer aux yeux des gens) : il aime le sang.(2) Sturgeon dénonce en 1961 une Amérique schizophrène et l'on aurait aimé savoir qui avait eu l'audace de publier un tel texte — et s'il faut en croire Rasnic Tem, chez un éditeur grand public.(3)

"Je répare tout"(4) est d'une facture plus classique et moins surprenante. Les deux personnages sont des monstres : l'un muet et sans doute pas très beau, rejeté par une petite phrase leitmotiv (comme avec Bartleby l'écrivain…) : « Qui a besoin de toi ? », mais capable et désireux d'aider sa prochaine, celle qu'il a vue jetée d'une voiture mortellement blessée et qu'il soigne… ; elle, l'autre, c'est une dealeuse qui a voulu tromper son fournisseur, une de celles qu'on imagine venues chercher “fortune” à la ville ou fuyant un père incestueux, un mari violent, et qui se retrouvent souvent très vite à vendre leurs charmes. En 1955, cette mise en relation de la belle et du monstre n'est plus surprenante mais elle fait toujours mouche et laisse au lecteur le soin de décider de sa vision du monde…

En tout cas, pour enrichir la vôtre, je vous propose de lire ce recueil ; vous le rangerez où vous voulez ensuite, mais vous saurez pourquoi.

Noé Gaillard → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010


  1. Parus respectivement en 1961 et 1955, ces textes, traduits ici par Odette Ferry et Véronique Dumont, ont été agrémentés d'une postface de Steve Rasnic Tem en 2005 et réunis par les éditions SW Télémaque en 2008 avant la présente réédition.
  2. Pardon de me citer, mais j'avais imaginé, en collaboration avec Pierre-Paul Durastanti, un vampire qui ressemble étrangement à George Smith dans "Fête galante", paru dans Territoires de l'inquiétude 4 en 1992.
  3. Ballantine à New York. —NdlR.
  4. "Parcelle brillante" dans la traduction d'Alain Dorémieux en 1972.

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