KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Ken McLeod : the Night sessions

roman de Science-Fiction inédit en français, 2008

chronique par Pascal J. Thomas, 2010

par ailleurs :

On a connu Ken McLeod en passionné de politique, nous servant une histoire du futur proche (la Division Cassini, the Stone canal, the Sky road et the Star fraction) qui, entre guerres mondiales et trous dans l'espace-temps, consacrait beaucoup de temps aux tirades explicatives des marxistes ou des anarcho-capitalistes. C'était passionnant, et parfois un peu déséquilibré côté intrigue.

Il s'est assagi, même s'il est toujours sans pareil dans la description des folies politiques des individus et des sociétés. The Night sessions se déroule au xxie siècle, dans le sillage des “Faith wars”, un vaste affrontement qui a embrasé le Moyen-Orient, mais pas seulement : après l'échec en Israël, elles se sont terminées en guerre civile (et partiellement nucléaire) au sein de l'Occident, avec pour conclusion une victoire des forces laïques contre les fondamentalistes chrétiens, et pour conséquence une séparation assez brutale entre l'État et toute forme de religion. Officiellement, toute Église est devenue clandestine : l'État ne les interdit pas mais refuse de les reconnaître. Leur clergé vit discrètement au sein de la population.

Et voici qu'on assassine un prêtre catholique à Édimbourg, et qu'il s'avère assez vite que le meurtre doit être l'œuvre d'un fanatique religieux. Adam Ferguson, policier écossais (l'Écosse est indépendante, même si la plupart des Écossais n'ont aucun goût pour les nationalistes extrémistes, chassés du pouvoir depuis des années), mène une enquête très classique pour traquer les coupables, aidé par l'internet et une foule de gadgets technologiques. Et surtout par son fidèle assistant, Skulk — qui n'aime pas trop qu'on lui donne son nom complet de “Skullcrusher”, qui mettrait ses collègues humains mal à l'aise. Car Skulk est un robot, aimable et dévoué, mais parfaitement conscient de son identité.

Le monde construit par McLeod mêle habilement surprises baroques et détails bien documentés, produisant à merveille l'effet d'étrangeté réelle indispensable à la bonne Science-Fiction. Au rayon détail documenté, tout l'aspect écossais, et l'histoire religieuse du pays, avec notamment les Covenanters (mouvement datant de la guerre civile britannique du xviie siècle). Mais aussi la folie des fondamentalistes chrétiens américains, le réchauffement climatique ou la présence décomplexée des homosexuels. Coté étrangeté, les merveilles technologiques : ascenseurs spatiaux, et voiles destinées à atténuer le rayonnement solaire (pour lutter contre le réchauffement). Et surtout, les robots intelligents, et les prothèses qui transforment en cyborgs les nombreux combattants gravement blessés de la dernière guerre en date.

Et le livre joue à fond le jeu de la SF : son intrigue policière n'est qu'un fil d'Ariane qui va nous amener aux questions beaucoup plus graves qui remettent en jeu la société entière. Adam Ferguson, notamment, est rongé par les remords ; son passé professionnel n'est pas exempt d'ambiguïtés, et il ne lui a pas toujours été facile de décider jusqu'où la loi avait le droit de faire appel à la force pour défendre la démocratie… Les lecteurs qui habitent l'état français, où le débat public est obnubilé par la lutte de l'État contre toute structure intermédiaire (et notamment les religions), se jetteront sur cet aspect du livre. Mais il y a des questions plus profondes. Comme souvent en SF, le cœur du propos réside ici dans la définition de l'humain, au travers de la recherche de la frontière entre humain et robot. Question prudemment laissée sans réponse : McLeod ne néglige pas la répugnance spontanée des humains envers les intelligences mécaniques.

Aucun ingrédient n'est nouveau dans ce livre, mais le mélange est si bien fait qu'on ne peut le lâcher. Essayez-le donc ; on n'est pas submergé par l'excellente SF de nos jours…

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010

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