KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Vernor Vinge : un Feu sur l'abîme

(a Fire upon the deep, 1992)

roman de Science-Fiction

chronique par Noé Gaillard, 2011

par ailleurs :

Page 10, vous trouverez une carte des lieux des actions de ce roman — j'ai failli écrire long roman, mais comme ce livre se lit très vite, se dévore, il vaut mieux dire : gros roman. Et page 111, un superbe passage vous en donnera une description littéraire assez réussie. Entre-temps, vous aurez appris qu'une énorme menace pèse sur l'univers imaginé, et qu'il est possible en activant une donnée d'écarter cette menace. Vernor Vinge vous aura présenté les protagonistes : Joanna, une jeune fille, son frère, Jefri, des animaux évolués qui “fonctionnent” par meute de cinq — par huit au maximum —, une jeune femme, terrienne, un homme reconstitué, une entité, deux extraterrestres.

Et en quatrième de couverture, après une assez bonne exposition, l'annonce du fait que ce roman a obtenu le Hugo en 1994 et d'une suite à paraître dans la même collection, vous avez droit à une citation d'un de mes confrères de Bifrost : « Vernor Vinge à son tour réinvente le genre. Son message : le space opera n'a d'autre but que de divertir le lecteur. On ne peut que rester béat d'admiration devant le résultat. ». Entièrement d'accord. Étonnant, non ? On est béat d'admiration. Mais — je me disais aussi ‼ — ce n'est peut-être pas pour les mêmes raisons. Et si je veux bien admettre que Vinge réinvente le space op', je ne suis nullement certain que son message soit de considérer le genre comme un moyen de divertir le lecteur. (La réflexion de mon confrère me paraît un peu simpliste. Du genre de celle qui faisait de Poul Anderson un écrivain un peu droitier tout simplement parce que son grand Flandry (!) fréquentait des peuples primitifs et assurait l'ordre en tant qu'agent de l'Empire terrien).

Si je suis béat d'admiration, c'est parce que Vinge entraîne d'une part le lecteur dans des aventures trépidantes sur plusieurs niveaux de récits, et d'autre part oblige à se poser des questions et au moins une d'essentielle — à mon sens — : qui sommes-nous ? Et ici, force nous est d'admettre qu'il n'y a pas que l'humain, que nous ne sommes pas les meilleurs, les plus intelligents, les plus ce que vous voudrez… Et si ce n'est pas le lecteur, emporté par l'action, qui s'interroge sur son identité ou celle des personnages, ce sont les personnages eux-mêmes qui s'inquiètent de ce qu'ils sont, ont été ou seront. En réponse à la question… Vinge propose une autre interrogation — par le biais de Jefri — : et si nous nous hybridions ? Si nous devenions “composites” ? Autre chose ? Si nous cessions d'être nous-mêmes ? J'avoue ressentir un léger vertige. Imaginez que quelques modifications nous rendent “meilleurs”. En fait, Vinge tente de mettre chaque lecteur devant sa propre singularité,(1) mais, pour ne pas le faire s'effondrer, il lui livre un flot d'aventures qui permet de ne pas sombrer… Cette recherche d'une réponse — différente du “42” traditionnel — est une constante de son œuvre puisque vous pouvez la retrouver dans Rainbows End.

Pour ce qui est du space op' considéré comme “divertissement”, j'ai bien envie de vous envoyer chercher la définition pascalienne (Blaise pas Thomas) du mot. Il me semble que ce qui divertit empêche/interdit de réfléchir… Je ne pense pas que cela soit le but de Vinge, encore moins celui de la collection.

Noé Gaillard → Keep Watching the Skies!, nº 69, juin 2011

Lire aussi dans KWS une autre chronique d'un Feu sur l'abîme [ 1 ] [ 2 ] par Sylvie Denis ou Pascal J. Thomas


  1. Quand je parle de singularité propre à un individu, j'imagine que chacun a un seuil de compréhension et d'appréhension du monde, un seuil au-delà duquel tout lui est étranger et en un sens hostile.

Commentaires

Ajouter un commentaire

Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.