KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Philippe Curval : l'Homme qui s'arrêta : journaux ultimes

nouvelles de Science-Fiction, 2009

chronique par Jérôme Charlet, 2012

par ailleurs :

Un recueil de nouvelles comme celui-ci, touchant à l'intime, à la mort, aux grandes questions humaines, ne peut être qu'une réussite sous la plume de Philippe Curval.

Je me souviens de la claque incroyable qu'a été ma première lecture de cet auteur, et ce plaisir ne s'est jamais démenti. Cet ouvrage, composé de dix longues nouvelles, ne fait pas exception.

Comme point focal de ce livre, il y a la question, existentielle par excellence, de notre rapport à la mort.(1) Et chaque nouvelle en est une variation, une reprise du thème, comme en musique, pour nous inciter à poursuivre la réflexion une fois le texte terminé, de la même manière qu'une phrase musicale nous occupe parfois encore l'oreille bien après que les instruments se sont tus.

Peut-on, pour éviter la mort, s'extraire du temps afin de devenir éternel (comme dans "l'Homme qui s'arrêta") ? Doit-on préférer faire renaître ses parents, afin de toucher à une forme d'éternité ("Pourquoi ressusciter ?") ? Et qu'en est-il de ce rapport lourd entre le sommeil et la mort (« […] merveilleux sommeil que je baisse chaque soir comme un rideau de fer sur le reste du monde. » dans "Temps de la douleur", p. 179) ?

Naturellement, d'autres questions surgissent, liées à l'héritage, à la mémoire, au passé… Au poids qu'ils font peser sur les épaules de chacun d'entre nous. Et comme le porte cette stèle dans la nouvelle "la Mort au goût de chocolat" : le temps passe, le souvenir reste, et c'est comme ça que les ennuis commencent. Car l'Homme est un être de mémoire. Et ceci, même dans sa forme absolument première, comme nous le montre "le Testament d'un enfant mort".

Peu à peu, alors que se creuse la question de la mort, arrive la dichotomie, totalement classique et assumée, de la Nature et la Culture. Et du lieu si particulier où se rencontrent ces deux opposés : l'écriture intime — ou plutôt, comme le porte le complément de titre de ce livre, dans les “journaux ultimes”.(2)

Là non plus, pas de grande surprise pour les lecteurs de Philippe Curval : le rôle de l'écriture reste au centre de tout. Cette nécessité du dire, alors même que l'on sait que ce sera forcément mal dit. Comme pour Samuel Beckett(3), Philippe Curval nous offre la nouvelle "Lafuma extra strong", ou encore ce début du "Journal contaminé" : « Pourquoi écrire ? Je n'ai, a priori, rien à dire qui concerne les autres, et me sens, sinistré, peu capable de formuler mes pensées. Faut-il qu'une raison ultime aspire à m'y contraindre ? ».

Mais n'ayez pas peur… Ce qu'il faut surtout dire concernant ce livre, c'est que, bien que follement intelligent, il reste absolument abordable ! Aucun besoin d'une quelconque encyclopédie à portée de main quand vous le lirez. La langue de Philippe Curval reste toujours nette, simple, directe, et frappe toujours juste.

Et si, en plus, les quelques belles trouvailles dont il a truffé son texte vous font chavirer (« un matin de chien », des « poignards laqués », et tant d'autres…), alors vous aurez atteint le centre même de ce recueil : l'être humain.

Jérôme Charlet → Keep Watching the Skies!, nº 71, octobre 2012


  1. Ce qui n'est pas une surprise quand on connaît un peu l'auteur, cf. par exemple le titre de son Macno : Macno emmerde la mort !‥
  2. C'est sous ce seul titre que le recueil devait initialement paraître. — Note de Quarante-Deux.
  3. Voyez dans Mal vu mal dit ou surtout dans "Pochade radiophonique".

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