KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Joe Hill : le Costume du mort

(Heart-shaped box, 2007)

roman fantastique

chronique par Philippe Paygnard, 2012

par ailleurs :

Après avoir été une véritable star du rock, Jude Coyne profite de sa retraite dorée et de son temps libre pour s'adonner à ses passions. Parmi ces dernières, il en est une plutôt étrange puisque Jude collectionne des objets aussi improbables que la véritable confession d'une sorcière, l'échiquier de l'occultiste Aleister Crowley et un authentique snuff movie. Aussi, lorsque Danny Wooten, son fidèle assistant, a vent de la mise aux enchères d'un fantôme sur l'internet, Jude ne peut résister. Il ne sait pas encore que cet achat risque de l'emporter, lui et ses proches, au plus profond de l'Enfer.

Depuis toujours, les histoires de fantômes constituent l'un des thèmes classiques de la littérature fantastique et les plus grands auteurs du genre s'y sont frottés au moins une fois dans leur carrière. Au panthéon des récits de revenants, on trouve bien évidemment l'incontournable Tour d'écrou de Henry James, maintes fois adapté au cinéma, mais il y a aussi l'excellente nouvelle "la Maison du juge" de Bram Stoker, le créateur de Dracula, ainsi que Maison hantée de Shirley Jackson, sans oublier les romans Shining et Sac d'os de Stephen King. Bien d'autres encore mériteraient d'être cités. Et voici qu'un parfait inconnu, un certain Joe Hill, s'attaque à son tour à cette thématique en livrant ce qui ressemble, au premier abord, à une très traditionnelle histoire de vengeance par-delà la mort. On découvre un fantôme dont l'esprit n'est pas rattaché à un lieu, comme dans la majorité des récits du genre, mais à un objet. Il s'agit ici du costume noir dont Jude Coyne fait l'acquisition sur l'internet, le costume d'un mort. Celui-ci constitue ainsi le véhicule parfait permettant au fantôme d'approcher sa victime, Jude, et ses proches, Danny et Georgia, pour les hanter et les conduire jusqu'au trépas. Par ailleurs, comme beaucoup d'autres revenants du xxe siècle, ce spectre se révèle capable d'utiliser les technologies les plus récentes, comme la radio et la télévision, afin de hanter ses proies en tous lieux et à tout instant. En outre, ce dernier a conservé certaines des capacités exceptionnelles qu'il possédait de son vivant, à commencer par un étrange don pour l'hypnose dont il se sert contre ses victimes pour les inciter à se donner la mort.

Faisant fi de tout classicisme, le Costume du mort n'hésite pas à déroger à un bon nombre de règles traditionnelles du sous-genre spectral. Ainsi, alors que, dans la grande majorité des histoires de fantômes, le revenant est une victime, souvent innocente, qui se venge de ses bourreaux et de leur lignée sur au moins sept générations, le fantôme du Costume du mort est loin d'être innocent et n'était nullement une victime de son vivant, tout au contraire. Le roman de Joe Hill est également en rupture avec la classique unité de lieu qui fait de la plupart des histoires de fantômes des huis clos situés, le plus fréquemment, dans une maison hantée, puisque son Costume du mort prend rapidement des aspects de road movie, lançant sur les routes des États-Unis, de l'état de New York jusqu'à une Floride pas si ensoleillée que cela, les victimes potentielles que sont Jude et Georgia, impitoyablement traqués par le spectre vengeur. Pourtant, les deux fugitifs ne cherchent pas leur salut dans une échappée qui se révélerait sans espoir face à un être aussi immatériel que malfaisant, mais ils tentent, ensemble, de découvrir qui leur a envoyé ce funeste esprit et de comprendre pourquoi.

Reste que la plupart de ces entorses au canon du genre n'ont rien de réellement révolutionnaire. En effet, depuis la première histoire de fantôme qui remonte à l'Antiquité, les innombrables narrateurs de récits de revenants ont déjà eu l'occasion de tenter toutes les variations possibles et imaginables dans des nouvelles, romans, bandes dessinées, films ou épisodes de séries télévisées. Donc, au-delà de ces quelques altérations, ce qui donne réellement tout son charme, parfois vénéneux, et tout son intérêt au roman de Joe Hill, ce n'est peut-être pas le duel opposant Coyne au fantôme, mais plutôt la relation purement humaine qui se développe et qui évolue lentement entre Jude et celle qui n'était qu'une groupie comme les autres et que, bientôt, il n'appellera plus Georgia. Ainsi, même s'il plonge ses personnages au cœur d'une situation extraordinaire et fantastique, le jeune romancier prend tout le temps nécessaire pour rendre attachant ces deux êtres au passé tourmenté qui se dévoilent petit à petit et prennent véritablement corps et âme au fil des pages, bien au-delà des clichés de la rock star retraitée et de sa copine gothique tels qu'ils apparaissent dans les premières pages du livre.

Avec ce premier roman totalement maîtrisé, Joe Hill entre de plain-pied dans le cercle des meilleurs auteurs fantastiques, ceux qui parviennent à faire trembler et à émouvoir, en quelques pages. Depuis la publication française de son Costume du mort, d'autres œuvres du jeune romancier ont été traduites : son recueil d'histoires troubles, Fantômes, son second roman, Cornes, ainsi que l'excellente série de bandes dessinées qu'il scénarise pour le dessinateur Gabriel Rodriguez, Locke & Key (chez Milady Graphics depuis 2010). On a accessoirement appris qu'il était le fils d'un très célèbre écrivain, ce qui tendrait à prouver que le dicton « bon sang ne saurait mentir » reste encore d'actualité dans certains domaines.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 71, octobre 2012

Lire aussi dans KWS une autre chronique de : le Costume du mort par Jérôme Charlet

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