KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Joe Hill : Fantômes : histoires troubles

(20th century ghosts, 2005)

nouvelles fantastiques

chronique par Philippe Paygnard, 2013

par ailleurs :

En préambule, il faut constater que, même si ce recueil de nouvelles s'intitule Fantômes, l'ensemble des textes qui le compose n'est pas totalement dédié aux revenants. En effet, ce livre rassemble pas moins de quinze récits plus ou moins courts (avec un bonus caché) qui vagabondent sur les terres du Fantastique. La majorité de ces nouvelles de Joe Hill a paru, entre 1999 et 2005, dans diverses revues et anthologies anglo-saxonnes. Dans son introduction, Christopher Golden, romancier et scénariste de BD, explique comment il a découvert ce nouvel auteur prometteur et comment il a été conquis par sa manière d'écrire qui laisse une grande place à l'imaginaire du lecteur.

Les fantômes qui donnent leur titre à cet ouvrage prennent donc diverses apparences. Il y a ainsi ce revenant à visage humain qui hante une salle de cinéma, dans un texte empreint d'une douce nostalgie, mais très étrangement intitulé "la Belle au ciné hantant" ("20th century ghost" en version originale). Il y a également cette machine à écrire possédée par l'esprit de son défunt propriétaire, dans "Schéhérazade a encore frappé", le bonus inédit caché dans les remerciements de l'auteur.

Au-delà des seuls fantômes du titre, Joe Hill se laisse aller à explorer quasiment tous les domaines du Fantastique. Le texte d'ouverture du recueil, "Dernier cri", est véritablement terrifiant. Il fait partie de ces histoires efficaces qui prennent aux tripes, tout particulièrement lorsque l'écrivain parvient à suggérer l'horreur en évitant le piège d'une description dégoulinant d'hémoglobine.

Si suggérer est la clé de voûte de ce premier texte, ce n'est pas celle de la troisième nouvelle proposée au sommaire de Fantômes. En effet, "Pop art" est un récit singulier où Hill entraîne ses lecteurs dans un monde totalement cohérent, mais parfaitement surréaliste dans lequel il n'est nullement surprenant de croiser un garçon en plastique gonflable, juif de confession, à l'avenir incertain, surtout s'il s'approche du moindre objet tranchant ou piquant.

Avec "la Cape", Joe Hill crée un pont entre littérature et bandes dessinées puisqu'il invite ses lecteurs à rencontrer un homme qui possède un pouvoir digne d'un super-héros. L'auteur fait apparaître cette vérité petit à petit, en prenant le temps de faire découvrir quelques éléments du passé de cet homme et les raisons pour lesquelles il n'utilisera jamais ses capacités extraordinaires pour le bien commun, mais les pervertira pour accomplir une vengeance personnelle. Un tel récit se situe bien évidemment dans la droite ligne des comic books qui désacralisent le super-héros et lui rendent son humanité avec ses bons et surtout ses mauvais côtés, un mouvement initié par le scénariste anglais Alan Moore avec ses Watchmen (qui ont été superbement mis en images par son compatriote Dave Gibbons et publiés par l'éditeur américain DC Comics en 1986-87). Cette manière d'appréhender les super-héros a depuis été reprise par bon nombre de scénaristes, y compris au cinéma, mais, avec "la Cape", Joe Hill réussit à surprendre le plus blasé des lecteurs de comic books. Juste retour des choses, cette nouvelle a été tout naturellement adaptée en bandes dessinées par Jason Ciaramella et Zach Howard pour IDW Comics, l'éditeur qui par ailleurs publie Locke & Key, un comic book créé et écrit par Joe Hill, avec la collaboration du dessinateur Gabriel Rodriguez.

Fantômes, vampires, morts-vivants, réminiscences de Kafka, tueurs mystérieux ou monstrueux, Joe Hill touche pratiquement à toutes les thématiques du Fantastique dans la quinzaine de nouvelles qui constitue Fantômes. Au gré de ses textes, il parvient ainsi à convaincre, surprendre, enthousiasmer, effrayer, fasciner et déclencher toute une gamme de sentiments avec des histoires qui n'ont rien de stéréotypé. Il n'est donc pas besoin de chercher une quelconque filiation à ce nouvel auteur qui prouve, à travers ce recueil, et au-delà dans ses romans le Costume du mort et Cornes, qu'il est un véritable écrivain capable avec les mots issus de son imagination fertile de titiller l'imaginaire en friche de ses lecteurs.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 72, août 2013

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