KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Jacques Boireau : Oniromaque

roman de Science-Fiction, 2013 [1985]

chronique par Noé Gaillard, 2013

par ailleurs :

Ce roman fait partie de la sélection pour le Grand Prix de l'Imaginaire décerné depuis deux ans au festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, et c'est justice pour l'auteur décédé en 2011 qui obtint un relatif succès au début des années 80.

Dans sa préface, Pierre Stolze s'étonne des refus des éditeurs qui ont valu à Jacques Boireau un long purgatoire. Personnellement, et au risque d'en faire bondir certains, je n'en suis guère surpris. Ce roman est un roman de Science Fiction intelligent. Or, souvent, ce qui est intelligent fait peur. Et certains éditeurs soucieux de rentabilité, et on les comprend, ont craint que les textes de Jacques n'effrayent les lecteurs et les éloignent de leur collection. On regrettera leur frilosité. Pierre Stolze met en évidence un passage du roman dans lequel Boireau se livre à une imitation — plus qu'à une parodie ou un pastiche — de Louis-Ferdinand Céline. C'est savoureux, c'est juste, et on comprend que certains éditeurs méconnaissant peut-être le sujet aient eu des doutes à propos de Bébert le greffe ou de La Vigue… On sent que l'auteur se fait plaisir, et il cloue d'ailleurs le bec à d'éventuels détracteurs-critiques en achevant l'imitation par : « Ce que je pense de ce récit ? Beaucoup de choses. Je ne parle pas du narrateur, de son caractère, de sa façon d'écrire. Cela a-t-il une quelconque importance ? » et la phrase qui suit replace le tout dans le cadre du roman…

À ce propos, bref résumé. À une époque non déterminée, la Ligue hanséatique — pour mémoire, Hambourg est un port de la Hanse — s'est emparée de l'Europe du Nord. En Grèce, un coup d'État porte les colonels au pouvoir. Des brigades internationales se créent pour s'opposer aux militaires et tenter de rétablir la démocratie. Jordi, mi-occitan, mi-francien, s'engage et part pour la Macédoine. Il trouvera là-bas entre autres Dino Buzzati, Carlos Saura, Yannis Ritsos. Ces brigadistes ne vont pas combattre l'ennemi sur le terrain. Ils vont lutter par rêve interposé. Selon les scientifiques de ce roman, les rêves peuvent influer sur la réalité, grâce à l'oniromaque… une étrange machine dont l'auteur ne nous dit pas grand-chose, préférant nous promener dans les rêves des personnages. Bien sûr, Buzzati commandera un fort dominant un désert… Et les cinéphiles se souviendront peut-être d'un film d'Alain Resnais dont le scénario est de Jacques Sternberg — qui a lui aussi trouvé une sortie à notre monde au fond de l'espace —, Je t'aime, je t'aime, avec Claude Rich. Je trouve que les éditions Armada ont bien du courage de publier aujourd'hui un roman de SF dans lequel on trouve une imitation de Céline, des références à Buzzati, Saura, Ritsos et aux Brigades internationales, mais c'est plus facile maintenant que le lecteur peut interroger directement son moteur de recherche pour savoir qui est Claude-Nicolas Ledoux, par exemple. Je me dois d'ajouter que c'est remarquablement écrit. En souplesse, en subtilités et nuances. Jacques Boireau vous prend gentiment par la main et vous guide à travers les décors que ses personnages créent pour son histoire. Et pour ne pas vous désorienter par ses références culturelles, il les explicite en douceur, en évitant de vexer celles et ceux qui savent déjà. Petite recommandation, ce livre, à mon avis, exige pour être pleinement apprécié une lecture pratiquée en toute sérénité, sans la moindre perturbation. Au coin du feu ou au jardin dans un bon rocking chair avec votre boisson favorite.

Bonne journée…

Noé Gaillard → Keep Watching the Skies!, nº 72, août 2013

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