KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Ugo Bellagamba : l'Origine des Victoires

roman de Science-Fiction par nouvelles, 2013

chronique par Pascal J. Thomas, 2013

par ailleurs :

Il est des livres liés à des lieux. Celui-ci l'annonce franchement : chaque chapitre est introduit par une photographie, et par un lieu d'action : Marseille, Digne, Nice, Le Thoronet, Fréjus (si, vérifiez !)… Tous situés en Provence (ou PACA, selon le sigle à la mode). Mais c'est bien un roman de Science-Fiction que nous tenons entre les mains, pas un guide touristique. Tout comme Ugo Bellagamba, l'éditeur de ce livre est établi à Nice — étymologiquement, Νίκη, la victoire (en grec) : voici pour l'origine du titre, et une autre des pièces que Bellagamba a réussi à assembler en un puzzle particulièrement prenant.

Si je vous dis qu'il s'agit d'une lutte du Bien contre le Mal qui se poursuit depuis le fond des âges, vous me direz Fantasy. Si je vous dis qu'apparaissent nombre de personnages historiques dans des rôles qu'on ne leur aurait jamais soupçonnés, vous me direz Histoire secrète. Pourtant, ce roman s'inscrit vigoureusement dans la SF, et fait des incursions dans notre futur autant que dans notre passé. L'esprit mauvais, l'Orvet, est une intelligence extraterrestre, certes immortelle et capable de posséder des êtres conscients, mais mue en fin de compte par le désir de survie et la gourmandise. Beaucoup plus dans la lignée de Van Vogt que dans celle de Lovecraft. Et ceux, ou plutôt celles, qui s'opposent à l'esprit du Mal, les Victoires, n'ont finalement que peu à voir avec les déesses du même nom ; elles forment une société secrète qui se perpétue au travers des générations (un peu comme dans la série des Enfants de la Destinée de Stephen Baxter). Les Victoires ont leurs écoles, et leur transmission familiale, de mère en fille exclusivement, car l'Orvet n'est capable de posséder que des hommes. Et bien entendu, l'Orvet exacerbe les bas instincts des mâles (le livre ne prétend pas qu'il les ait créés, j'ai plutôt l'impression que les hommes, plus que les femmes, représentaient pour lui un terrain favorable en raison de leurs prédispositions à la violence, à la jalousie, au désir sexuel débridé…). Les Victoires, de leur côté, veulent renforcer le versant apollonien de l'Humanité, la raison, l'ordre, le progrès… à condition qu'il soit libérateur.

Du combat entre les Victoires et l'Orvet, nous ne verrons que des bribes éparses, séparées par des siècles de distance, avec plus sans doute de défaites que de victoires : mais dans leur défaite et leur mort même, les Victoires savent qu'elles font œuvre utile, en plaçant des embûches sur les pas de l'Orvet. Le caractère épisodique du récit est à la fois sa force et sa faiblesse : nous entrons en peu de pages dans l'intimité de nombre de figures historiques célèbres (l'éclairage fictionnel le plus original est celui qui est jeté sur Thomas d'Aquin), ou de personnages prosaïques mais attachants ; en même temps, on n'a guère le temps de s'accoutumer à aucun d'entre eux, et on reste un peu sur sa faim autant sur leur destinée personnelle que sur les détails de l'organisation qui permet aux Victoires, qui n'ont pas de super-pouvoirs, une telle continuité dans l'action. Mais le roman en est bien un, et s'achève sur une conclusion cosmique à souhait.

Bref, Bellagamba a réussi une nouvelle synthèse entre Histoire et SF, et conquiert un espace nouvel pour celle-ci en la publiant chez un éditeur peu coutumier du genre. Une victoire de plus.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 72, août 2013

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