KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

James Smythe : le Voyageur

(the Explorer, 2012)

roman de Science-Fiction

chronique par Éric Vial, 2015

par ailleurs :

Il me semble difficile de parler de ce roman sans “spoiler” au-delà de ce qui est décemment admis. Mais je n'ai pas particulièrement envie de m'en excuser — disons-le tout de suite : une relative déception (science-fictionnesque, s'entend ; cela a sans nul doute d'autres qualités) l'explique. Ou simplement une mauvaise humeur, passagère ou pas. Vous voilà donc prévenus et avez deux raisons de passer à la chronique suivante. Afin de vous permettre de gagner encore un peu de temps, signalons que l'on est dans un avenir assez proche, vers 2025 si j'ai bien compté (p. 115), dans un monde peu différent du nôtre fors quelques broutilles techniques du genre faire repousser une dent grâce à une simple injection, ou de « nouvelles plages créées par les inondations » (p. 193), voire le fait qu'il semble possible de trouver un « boulot » en Grèce (p. 272) : à ce dernier point près, le dépaysement est tout de même minime.

Et — je peux “y aller”, maintenant — aux premières pages on se dit qu'on va avoir affaire à un mixte entre d'un côté 2001, côté Hal homicide (et aussi côté caissons, ici, de « stase »), et de l'autre les Dix petits nègres d'Agatha Christie. Mais à la page 72, et c'est d'une certaine façon à mettre au crédit du roman, tout le monde est mort dans le vaisseau, lequel est allé fort loin (?) dans l'espace. D'où un sentiment de frustration, d'autant qu'on peut avoir cru percevoir quelques menues incohérences, sans qu'il soit possible de savoir si elles sont de conception, de rédaction ou de traduction (ainsi, un astéroïde avec une queue, p. 26, ça devrait peut-être s'appeler une comète…). Des problèmes de temps qui passe, de réserves, de distances ; plus sérieusement, la nature même de la mission effectuée : aller le plus loin possible droit devant soi et revenir, sans but même symbolique (mais là, c'est sans doute volontaire, voir plus loin), sans non plus d'interrogation sur la façon dont le demi-tour du vaisseau s'effectuera, ou sur la façon dont il pourrait « stopper sa course […] en cas d'arrêt obligatoire pour vérifier ou réparer quelque chose » (p. 102) : lacune que l'on peut rapprocher d'indications curieuses, comme sauf erreur de lecture cette gravitation qui revient quand on arrête le vaisseau et non l'inverse — sans toujours plus de précision sur ce que peut bien vouloir dire arrêter en l'occurrence —, et que l'on fait disparaître en pressant sur un gros bouton vert qui met les propulseurs en marche (accessoirement, il semble que quand les propulseurs fonctionnent, cela fabrique ou recycle de l'oxygène…).

Côté sciences inhumaines, je crains (sans pouvoir en être certain) qu'il y ait à redire ; côté sciences inexactes, à ce moment du récit, ce vol unique sans autre perspective peut chiffonner quelque peu, même totalement sponsorisé et publicitaire, même s'il est répété que la vraie mission est de « donner du rêve », ce qui serait assez louable en soi, organisé qu'il est pour dire qu'on va dans l'espace même si Mars est impraticable — mais pour de très possibles « mauvaises nouvelles concernant les conditions d'atterrissage, l'atmosphère, la température » (p. 116) sur cette planète, il ne me semble pas nécessaire d'attendre une mission non habitée faisant l'aller-retour, et il y a déjà beau temps que des engins automatiques sont envoyés sur la « planète rouge »… Si l'on passe là-dessus (d'autant qu'une petite partie de ce qui vient d'être dit s'explique plus ou moins ensuite), on peut se dire, toujours du côté de la page 72, qu'il a bien fallu que l'auteur trouve quelque chose pour remplir les pages suivantes, et que ce peut être intéressant. De fait, le narrateur, journaliste embarqué dans le but de couvrir l'événement et dernier à être mort (puisque narrateur) se retrouve à la case départ ou presque. Sans explication d'ailleurs, et on peut soupçonner une contamination par le fantastique. Mais pas dans sa propre peau : en double exemplaire par rapport à lui-même, au membre de l'équipage normal qu'il a été et qui va vivre ce qui vient d'être vécu ; en passager clandestin et pourrait-il sembler en zombie ou mort-vivant aussi, sans doute, au vu des quelques notations sur son état physique dont la propension de ses dents à se déchausser ; à moins que ce soit autre chose. Et il se cache dans la paroi du vaisseau, dans les soutes d'une certaine façon, comme dans un navire à voiles, anachronisme compréhensible pour le récit… sauf qu'il est probable qu'un vaisseau spatial ressemble davantage à un sous-marin… et qu'il n'est pas simple d'y être passager clandestin. Passons. Il s'interdit d'intervenir et quand il enfreint cet interdit, cela ne marche pas, ou pire, cela réalise ce qui s'est déjà passé et qu'il voudrait modifier. D'où rebelote pour ce qui est de l'extermination progressive de l'équipe, avec cependant quelques explications sur les conditions de ces morts, qui n'ont au total rien de mystérieuses. Et on y ajoute des éléments de sa vie antérieure, et de la façon dont il a été sélectionné — histoire de donner de l'épaisseur au personnage selon toute vraisemblance (et moyennant une solide invraisemblance dont on s'aperçoit quand on connaît tardivement (p. 274) l'issue de ses problèmes avec son épouse, qui ne cadre pas très bien avec ce qui a été dit avant, à croire que l'idée est venue à l'auteur en fin de rédaction et qu'il n'a pas jugé utile de modifier tous les passages antérieurs qui auraient nécessité des retouches), histoire aussi peut-être d'allonger le récit, comme avec l'assez longue description d'une sortie dans l'espace, pas racontée la première fois où elle a été vécue. Accessoirement, et de même que l'accélération de départ supposait la mise en « stase » mais que cela semble inutile lors de la décélération pour s'arrêter (!) avant de faire demi-tour (!), s'il semble normal que les communications avec la Terre soient rendues impossibles par la distance, puis inversement qu'à peine avant une conversation normale puisse être menée avec le Centre de contrôle sans trop de délais entre questions et réponses, et qu'on est alors au moins à mi-chemin du point extrême initialement prévu, on voit la Terre à l'œil nu à peu près comme on voit Vénus ou Mars depuis elle, et qu'on n'est pas au dixième de la distance parcourue par les « meilleures » sondes (p. 336) : je ne suis pas certain que tout ceci soit parfaitement cohérent (même si ça l'est avec la durée de la mission telle qu'annoncée, dans l'hypothèse où la technologie des fusées n'a pas fait de saut spectaculaire).

Rien de ceci n'empêche l'histoire d'être de nouveau fortement relancée par un mystère qui a échappé au narrateur la première fois où il l'a vécu mais qui lui apparaît quand, double de lui-même, il épie sans être vu. Et spoiler pour spoiler, autant lâcher le morceau : la mission doit échouer « pour que la Terre entière s'unisse dans le désir de savoir où nous avons été, ce que nous avons vu, ce qui nous est arrivé. Notre destin glorieux soudera l'Humanité » (p. 226). Disons-le, côté sciences inexactes, comme plus haut, on est en droit d'être un peu sceptique, même sur la base de gens ayant fait deux fois la « une » de Time et même si le modèle, ce sont les morts dans la conquête de l'Antarctique, qui sont restés dans toutes les mémoires, avec deux noms cités, dont Lawrence Oates, dont la réputation universelle… passons… même remarque à propos de l'aviatrice Amelia Earhart, elle aussi citée… Le récit porte sa propre contradiction, et je ne suis pas du tout certain que ce soit volontaire. Et côté sciences inhumaines, l'idée que cela permette de lancer un programme pour un vaisseau capable de rattraper celui de l'expédition afin de ramener les corps des malheureux héros me semble assez peu compatible avec ce que je crois savoir des lois de la mécanique céleste. Entre les deux, l'idée que se balader dans une région de l'univers finalement assez proche de nous va permettre de « décrypter les mystères de l'espace » (p. 229) pourrait bien relever de ce que les scientifiques, dans leur jargon parfois un peu technique, mais toujours précis, appellent du foutage de gueule. Mais c'en est peut-être effectivement un dans le récit lui-même, et ce serait alors à mettre à son crédit… Le passage de la duplication du temps à une boucle sans fin (et déjà multiple) n'est pas nettement plus convaincant, et le chapitre presque final racontant comment cela aurait pu ou dû se passer si tout s'était bien passé ne me semble pas arriver à relancer l'histoire. Pas plus que la scène finale, entre événement cosmique un peu tardif et redépart probable dans la boucle temporelle…

Bref, tout ceci fait beaucoup de récriminations implicites, même si certaines failles irritantes s'avèrent relever de la réalité de l'histoire. Il faut reconnaître que c'est rondement mené, qu'il y a assez de rebondissements pour tenir en haleine, que ça se laisse tout à fait lire (les gros caractères aident aussi à tourner vite les pages…), mais ça prend tout de même l'eau dès qu'on regarde de près, et les failles justifiées évoquées ci-dessus semblent trop mêlées à d'autres, involontaires elles, pour fonctionner comme elles le devraient. Dommage… À un autre niveau, peut-être n'est-on tout simplement pas tout à fait dans la SF, ou pas dans le cœur de celle-ci, d'où un intérêt plus grand pour le narrateur et sa vie que pour le monde assez sommairement décrit (et encore une fois à peu près indiscernable du nôtre) ou pour les “idées-SF”, ce qui ne serait pas un reproche si c'était un tout petit peu mieux ficelé (voir plus haut à propos de la p. 274) ; d'où aussi du fantastique avec le thème du double, avec le retour à la case départ sans justification aucune, et avec une démultiplication implicite de ces retours, et une solide obscurité quant à ce dont le personnage se rappelle (tout en apparence) et ce qu'il a oublié (pas mal de choses en fait mais on ne “spoilera” pas jusqu'au bout).

Il se peut que toutes ces récriminations soient injustes, et que ce livre mérite un contre-compte rendu par quelqu'un qui l'aura apprécié et saura donner les indications permettant de l'apprécier… Parce qu'il y a effectivement “quelque chose” dans ce livre, même si ce “quelque chose” me glisse sans cesse entre les mains, et se cache derrière des scories.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 75, mai 2015

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