KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Joaquim Casal : Tilepadeion: sé què penses

roman catalan de Science-Fiction inédit en français, 2015

chronique par Pascal J. Thomas, 2017

par ailleurs :

Situé dans un futur assez proche pour ressembler énormément à notre présent, ce roman avance simultanément sur deux lignes narratives avec deux protagonistes : d'un côté Shedarak, espion au service de diverses puissances, et de l'autre Adam Barnes, jeune chimiste américain venu travailler à Barcelone pour les beaux yeux d'une Catalane, Laia.

Adam, dont la thèse a eu pour sujet la combustion des hydrocarbures, est fasciné par le concept de bombe thermobarique, ou plus précisément fuel air explosive, qui cherche à exploiter l'énorme énergie contenue dans les hydrocarbures sous forme explosive — ce qui n'est guère possible avec les moyens actuels. Bien des équipes travaillent sur le sujet, mais la plupart s'en cachent car le sujet intéresse surtout les forces armées des différents pays. Adam fera une percée, et devra faire face au problème de conscience que cela implique. Mais pendant ce temps, Shedarak a été chargé par une puissance anonyme d'enquêter sur l'avancement des travaux dans le domaine. Il se trouve qu'il a volé à un savant grec génial mais isolé, aussi bien personnellement que scientifiquement, une machine qui permet de lire les pensées, le fameux Tilepadeion (le mot grec qui correspond à notre télépathie ; la deuxième partie du titre original catalan signifie d'ailleurs je sais ce que tu penses). Et il va s'en servir pour percer à jour les universitaires spécialistes de l'essence qui fait boum.

Le roman est correctement mené, avec une dose de suspense sur la couverture de Shedarak et les décisions personnelles d'Adam, et des personnages assez bien dessinés. Malheureusement, il est écrit dans un catalan sans étincelles — avec de curieuses hésitations sur l'emploi respectif du prétérit et du prétérit périphrastique, mais vous vous en fichez sans doute —, et l'intrigue est finalement très ordinaire. L'auteur, qui est chimiste de son état, professeur d'université, sait donner une image précise des travaux sur la combustion. Par contre, ses conceptions sur la télépathie et la recherche en neurologie me semblent relever d'une SF un peu dépassée. Celle de ces romans de merveilleux scientifique où un inventeur génial, travaillant dans la quasi-clandestinité, pouvait concevoir, réaliser et mettre au point une invention capable de changer la face du monde. En particulier, la production concrète du Tilepadeion sont des fragments de texte, représentant les pensées explicites des individus sur lesquels la machine est braquée ; et il faut pour qu'elle fonctionne qu'elle soit réglée sur la langue dans laquelle la personne en question va penser. Je n'ai jamais été convaincu que la pensée soit verbale avant tout — c'est une question délicate : il ne fait pas de doute que le langage est indispensable au cerveau humain pour se former et pour classer le monde, pour ainsi dire, mais je ne formule des mots ou des phrases en mon for intérieur qu'après un processus plus ou moins long d'élaboration de ce qui est une impression visuelle, ou sensuelle en général, ou un raisonnement par schémas…(1) En tout cas, quand, comme un personnage secondaire du livre, francophone, j'admire un postérieur féminin particulièrement suggestif, je ne formule jamais à part moi l'expression quelles fesses (p. 126, en français dans le texte), ni même le plus direct quel cul (quin cul, donné p. 127 comme traduction, plutôt inexacte à mon sens, de l'expression française), je me perds plutôt dans la fascination de l'image. Je réserve les élaborations verbales aux sujets dont je pense, ou je fantasme, que je les discuterai avec quelqu'un d'autre, et celui-là ne me semble pas approprié pour le partage.

On trouvera aussi dans ce livre quelques pages bien faites sur la Sagrada Família, et un exemple de décodage par un linguiste d'un texte écrit dans une langue indo-européenne inconnue — mais à forte base latine, et que je soupçonne l'auteur d'avoir inventée de toutes pièces. Ce n'est pas désagréable, au total, mais cela reste mince.


  1. Ceux qui me connaissent savent que, réciproquement, il arrive que mes répliques dans la conversation se passent totalement de cette phase de raisonnement intérieur, avec les conséquences que l'on imagine.

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