KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

S.G. Browne : la Destinée, la Mort et moi, comment j'ai conjuré le sort

(Fated, 2010)

roman fantastique

chronique par Philippe Paygnard, 2017

par ailleurs :

Sergio Fatum est débordé. Il doit gérer le sort de millions de Terriens, car il est le Sort incarné. Avec plusieurs dizaines d'autres immortels comme lui, il administre celles et ceux qui se retrouvent sur sa voie. Comme l'ensemble de ses coreligionnaires, il doit suivre les règles que son patron, le Tout-Puissant Jerry, a fixées depuis des millénaires, à commencer par la première : pas d'ingérence. Cela se révèle délicat lorsque, comme Sergio, on a une voisine aussi charmante que Sara. C'est alors que la règle nº 7, ne pas tomber amoureux, devient éminemment difficile à respecter.

S.G. Browne, c'est l'auteur de Comment j'ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l'amour (2009) et de le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël (2012), deux variations intéressantes sur le thème archi rebattu des morts-vivants. À travers ces deux romans dominés par un humour noir à souhait, Browne s'intéressait tout autant aux morts-vivants qu'aux vivants tout court. Depuis la Nuit des morts-vivants de George A. Romero (1968), il est évident que les zombies constituent, lorsqu'ils sont entre de bonnes mains, le moyen idéal pour révéler les failles et les défauts de la société. Browne s'est donc amusé à croquer les réactions du corps social américain face à Andy Warner et aux autres non-respirants. Avec la Destinée, la Mort et moi, comment j'ai conjuré le sort (ou plus simplement Fated en V.O.), le romancier continue à s'intéresser à ses contemporains à travers d'autres créatures extraordinaires. Elles prennent la forme des Péchés capitaux ou véniels personnifiés, de divinités oubliées comme Hermès et le reste du panthéon, ainsi que des puissances présidant aux affaires des Hommes telles que Destinée, Lady La Chance, Mortimer la Mort ou Sergio Fatum le Sort.

Comme avec Comment j'ai cuisiné mon père et le Jour où les zombies, Browne place le lecteur du côté des créatures. Andy le zombie était notre guide pour les deux romans précédents, Sergio Fatum occupe ce rôle dans la Destinée. On suit donc le quotidien de cet immortel encapsulé dans une combinaison d'homme qui participe à la détermination du sort de milliers d'humains chaque jour. Des femmes et des hommes qui laissent souvent un destin plus propice leur échapper, car ils se complaisent dans la facilité et acceptent leur sort sans lutter. Notre ami le Sort est donc quelque peu jaloux de constater que sa pétillante collègue la Destinée ne doit gérer que ceux qui ont vu les fées se pencher sur leur berceau et finiront oscarisés s'ils deviennent acteurs, ou millionnaires s'ils se lancent dans les affaires. Le triste sort qui frappe Sergio Fatum semble prendre fin lorsqu'il croise la route de Sara, banale humaine et pourtant si attirante qu'elle lui fait oublier toutes les règles édictées par Jerry, le tout puissant créateur de toute chose. On peut alors se demander quel sera le destin du Sort.

En lisant la Destinée, la Mort et moi, comment j'ai conjuré le sort, on se dit que S.G. Browne aurait certainement pu aller plus loin dans la satire et la critique sociale. Mais on se laisse prendre par l'histoire de cet immortel qui joue avec la vie de millions d'humains et qui n'est lui-même qu'un jouet du sort.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 79, janvier 2017

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