Gérard Klein : le Trou du hurleur
Futurs, [1re série], nº 4, octobre 1978, p. 86-88
Si je suis d'accord avec Gérard Klein en ce qui concerne le fond du problème qu'il évoque dans le Trou du hurleur du précédent numéro de Futurs, je ne peux, en aucun cas, me solidariser avec son pessimisme. En effet, lisant autant que lui des nouvelles françaises, je n'éprouve pas la même consternation ; au contraire, je suis souvent séduit par la qualité et l'originalité de ces textes. Surtout, je n'y trouve pas autant de déchets qu'il veut bien le dire. La Science-Fiction de notre pays, qui se veut spéculative, emprunte peu à la science ses artefacts ; elle est d'essence littéraire, à l'opposé de l'américaine — je ne dis pas anglo-saxonne —, qui néglige à de rares exceptions près la recherche au niveau de la création formelle. La SF française campe à l'intérieur de notre culture. Par contre, elle se situe en position de rupture plutôt qu'en solution de continuité, elle invente l'expression moderne de notre littérature. J'apprécie cette forme secrète de résistance à la colonisation culturelle made in USA et remercie je ne sais qui de ne pas découvrir dans les nouvelles qu'on m'envoie des milliers de petits Van Vogt asimoviens. Dire que cette tendance ne comporte pas des excès et dénoncer certains abus propres à décourager le lecteur le plus entreprenant m'apparaît comme le côté positif de la croisade entamée par Gérard Klein. Mais il aurait tort de généraliser. Et, s'il affirme avec justesse que les Soleils noirs d'Arcadie, l'anthologie de Daniel Walther, ne s'est pas vendue à plus de mille cinq cents exemplaires, il ne peut sans mauvaise foi extrapoler cet incident à toute la production des jeunes auteurs de Science-Fiction française. J'attribue une part de la mévente de cette excellente anthologie à une mauvaise information du public associée à une exécrable distribution du livre.
Enfin, il ne faudrait pas oublier Futurs au présent, que nous avons publiée, Élisabeth Gille et moi, au mois d'avril avec un grand succès.
À la fin septembre, les douze mille exemplaires de la première édition étaient pratiquement épuisés. J'y vois une remarquable adhésion du lectorat. Il y a au moins dix-sept auteurs français qui ont des idées ; je suis certain que les ressources ne sont pas taries. Gérard Klein aussi puisque nous avons publié, nous publions et nous publierons ensemble quelques-uns de ces jeunes écrivains dans les pages de Futurs.
À moins que nous ne tombions par exemple sur cet énorme manuscrit que je viens de recevoir en lecture, Sociecyber qui est, de l'avis de ses auteurs, une politico-socio-Science-Fiction-réaliste. Il s'agit d'une description pseudo-romanesque des structures d'une société future en 440 pages. Il y a même des graphiques. Je ne doute pas des bonnes intentions de Cyber 5001, qui l'a écrite, mais vraiment, proposer une utopie où la cybernétisation de la société humaine conduit au bonheur me paraît sot — je suis volontairement poli. D'autant plus que l'ouvrage est écrit avec les pieds, ce qui ne l'est pas, “le pied”. Enfin, heureusement, vous ne le lirez pas, car personne ne le publiera.