Serge Brussolo : le Château d'encre
roman de Science-Fiction, 1988
- par ailleurs :
Il résulte, des journaux intimes, un délicieux effroi à deviner toute une vie dans les intestins fumants de l'écrivain qui se sacrifie au genre. En Science-Fiction, les tourments littéraires de ces enfers intérieurs sont plus atroces encore puisqu'ils traduisent les secrètes fermentations, les tumeurs malignes de l'imaginaire. Ils relèvent de l'éventration des rêves.
Pour Serge Brussolo, qui réintègre en manteau couleur de muraille l'éditeur qui le publia initialement, ses pires hantises s'inscrivent dans le récit familier de ses combats contre l'ombre. Espérons que ce Château d'encre soit le hors-d'œuvre d'une série de textes plus littéraires que ceux publiés au Fleuve noir, car il témoigne d'une égale inspiration.
Au cœur d'une ville sans nom sur une planète inconnue, un enfant à l'âme chafouine — n'hésitons pas à dire craignos — s'est réfugié avec sa mère et sa sœur dans un avant-poste de la nuit, le “château d'encre”, pour fuir la criminelle lumière du jour, coupable de projeter sur le sol les silhouettes humaines en négatif. Sarah, sa mère, s'occupe des cérémonies funéraires qui accompagnent la mort des Hommes et de leurs ombres. Dorine, sa sœur, les rapetasse quand ces dernières se déchirent ou les redessine quand elles ne sont plus à la mode. Car sur ce monde, les ombres sont organiques ; formées de bactéries, elles parasitent les êtres en se nourrissant de leurs maladies.
D'où ce journal intime et terrifiant où sont consignées toutes les variations autour de ce thème voué à l'ignominie. Depuis le double obscène qui fornique avec la sœur du héros quand son porteur s'endort, jusqu'aux ombres pétomanes qui gonflent les défunts embaumés et célèbres. Avec une minutie de malade mental, l'enfant brussolien capte les complicités, les menaces, les répugnances de l'ombre, décrit systématiquement sa texture, sa consistance et sa morphologie, traque ses perversités jusqu'au dérèglement maniaque.
Un bien curieux itinéraire qui tourne au pogrome. C'est-à-dire jusqu'à la dissolution complète du jour qui provoque le retour à la nuit primitive où les ombres s'effacent.