Brian Aldiss : l'Hiver d'Helliconia
(Helliconia winter, 1985)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Qui aurait cru vers les années cinquante, où les courtes, superbes nouvelles subversives et décapantes de Galaxie et de Fiction permettaient à la SF moderne de se brancher sur le monde contemporain, que cette littérature produirait un jour d'aussi épaisses sagas. Est-il besoin d'un pareil poids pour perturber l'imaginaire ? Tout le monde a bien dans un coin de la tête le pavé d'Asimov, Fondation. Pas de quoi lever une barricade. Mais voici qu'après Dune et bien d'autres, Helliconia vient dilater les rayons de notre bibliothèque, avec ses mille pages bien tassées.
Si l'une des singularités essentielles de la SF est de se présenter comme une littérature d'idées plutôt qu'une littérature de sentiment, et si les héros qu'elle met en scène sont porteurs de symbole plutôt que prétexte à études psychologiques, il faut beaucoup d'ambition à l'auteur de vertigineux bouquins pour prétendre transformer l'essai sur une telle distance. La machine de traitement de texte en facilite la rédaction, soit, mais si elle permet à volonté de permuter les mots, les phrases et les chapitres, encore faut-il les avoir écrits d'abord.
Résumer Helliconia dans le cadre de cette chronique semblerait prétentieux. Disons qu'il s'agit pour l'auteur de mettre en scène un microcosme, en l'occurrence une planète à double cycle solaire, qui s'éveille à l'été sous les effets de l'un, Freyr, et s'endort quand l'autre, Batalix, poursuit son périple trop lointain. L'hiver est long quand dominent les Phagors autochtones, l'été court lorsque les Humains d'importation reprennent le pouvoir. L'oligarchie qui règne dès la venue du printemps n'a qu'une obsession politique : comment transmettre la civilisation à ceux qui naîtront à l'autre bout de la nuit, bien plus tard, trop tard pour la vie d'un Homme ?
Fils d'une très noble famille, Luterin Shokerandit semble choisi par le destin pour figurer comme premier porteur dans cette course à relais où se mêlent des enjeux et des règles complexes. Dans l'espace, une sonde envoyée jadis par les Terriens veille. Son équipage et son fonctionnement se dérèglent, tandis que sur la planète mère, la guerre nucléaire a semé la mort.
Jouant sur ces trois plans de la tragédie antique, le chœur, le héros, les spectateurs, Brian W. Aldiss s'arme de tout l'attirail du peintre a fresca pour une Iliade et une Odyssée d'inspiration protestante où son sens du récit fait merveille.
Voici l'hiver, les grands principes craquent, la main impitoyable de l'Oligarque s'abat sur tous ceux qui renâclent ; Luterin, adolescent idéaliste, embarqué malgré lui dans les guerres et les persécutions, rêve d'un autre traitement social de l'avenir.
Alors, toutes les structures science-fictives patiemment mises en place au cours des deux premiers volumes : distorsion de la réalité, création d'ethnies, de milieux, de mentalités différents, sont soumises impitoyablement au romanesque conventionnel. Peu à peu, les personnages prennent le pas sur les idées et, malgré les jongleries géniales d'un grand faiseur comme Aldiss, s'engagent dans un combat anecdotique contre le réel ordinaire. Certes, l'histoire ne s'essouffle pas, le lecteur est souvent chatouillé là où ça lui plaît, mais pourquoi fabriquer une pareille pile de pages alors qu'en un texte bien plus compact, le beau sujet d'Helliconia aurait gagné en ampleur et en force. « Abro Hakmo Astab ! »
comme l'exprime si justement Luterin pour conclure, usant du juron le plus obscène de sa langue maternelle.