Ken Grimwood : Replay
(Replay, 1987)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Plus les éditeurs de collections classiques inséreront de la SF dans leur production, plus les producteurs de SF introduiront des écrivains marginaux dans leurs collections, et plus le paysage de la Science-Fiction deviendra flou. Plus je me réjouirai de la disparition apparente du genre : il aura dévoré toute la littérature.
Ainsi, Replay de Ken Grimwood est un modèle du fonctionnement stratégique de conquête et d'adaptation. Pour toute justification de son voyage temporel, l'auteur nous dit négligemment que Jeff Winston, son personnage central qui meurt dès la première ligne, avait lu beaucoup de Science-Fiction dans sa jeunesse. La machine à voyager dans le temps n'a désormais plus besoin d'être décrite ; Wells et ses descendants nous l'ont installée dans la tête. Changement de culture, soit, on glisse la disquette dans la fente adéquate et l'électronique fait le reste. Mais attention, toute faute de frappe reste interdite. Ken Grimwood le sait, qui explore la chronologie avec une extrême rigueur.
Que faire quand on se réveille adolescent après un parcours de vie gâché par les désillusions ? Que faire quand après la mort on se retrouve sur la banquette arrière de sa vieille Chevy compacte, contre le corps de sa petite amie Judy qui vous glisse la main sous la ceinture ? Une première réaction s'impose, certes, mais après ? En 1963, la pilule n'existe pas, le président Kennedy n'est pas encore assassiné, la guerre du Việt Nam aura lieu, et le souvenir amer de son mariage raté avec Linda empêche Jeff de commettre l'irréparable. Non décidément, tout ne recommencera pas comme avant !
Maîtriser sa vie demande des capacités exceptionnelles. Jeff Winston les possède : il connaît l'avenir jusqu'en 1988. Un quart de siècle, c'est juste le temps nécessaire pour bâtir une solide martingale. Malheureusement pas tout à fait assez pour vaincre le sort. Car une fatalité s'acharne sur notre explorateur improvisé : inéluctablement, à la même date, il meurt. À chaque fois, Jeff doit recommencer, toujours aussi jeune physiquement, mais mûri, mentalement.
Cruel de perdre le plus beau produit qu'on puisse créer : son existence. Même la pure réflexion philosophique n'est pas une fin en soi quand le repos éternel s'annonce comme une nouvelle épreuve. Pas vraiment séduisant de dire « Merci papa. » à celui qui vous donne votre semaine quand on a possédé un empire financier, connu les joies nostalgiques de la paternité et savouré jusqu'à la lie une débauche débridée. L'écœurement vient vite quand la vie ressemble à du prêt-à-porter tellement les événements sont connus et Jeff finirait par abandonner s'il ne rencontrait une femme frappée d'une damnation identique à la sienne.
La reprise à répétition du scénario de sa jeunesse devient alors quête existentielle. Au héros de fiction se mêle, semble-t-il, la chair et le sang de l'écrivain, cherchant à nouer les fils de son destin pour se composer une biographie rêvée. Mais celui qui veut changer sa vie pense innocemment à changer le monde. L'architecture subtile du roman de Ken Grimwood laisse entrevoir comment l'infatigable lancer de la bille par le croupier déjoue les martingales les plus achevées.