K.W. Jeter : Machines infernales
(Infernal devices, 1987)
roman de Fantasy
- par ailleurs :
La désinvolture, l'indifférence ou quelque obscur ressentiment m'ont fait renoncer jusqu'ici à lire K.W. Jeter, dont six volumes ont actuellement été traduits en France. Je me propose aujourd'hui de redresser ce tort puisqu'un hasard a fait paraître opinément le même mois Machines infernales et Instruments de mort. Plus que la conjoncture, ce sont une fois encore les deux prières d'insérer qui ont attiré mon attention : le premier classe Jeter parmi les créateurs d'un nouveau genre de SF : le (sic) Fantasy historique ; le second lui octroie la filiation spirituelle de Dick. Les deux disent vrai. Cette diversité de production qui impressionne en général de la part d'un unique écrivain, étonne moins d'un auteur de Science-Fiction dont l'esprit est généralement vif, le talent éclectique, l'imagination pleine de souffle, conditions essentielles pour écrire de la SF qui, sans ces qualités, ne dépasserait guère le niveau d'un genre littéraire.
Le sous-titre de Machines infernales est : une fantaisie baroque des temps victoriens. K.W. Jeter, qui est américain, reprend en cela l'initiative que l'Anglais Christopher Priest avait été l'un des premiers à lancer dans la Machine à explorer l'espace : imaginer un récit dont la substance puise aux origines de l'ère scientifique, ces temps fertiles où l'impossible n'était pas britannique. Jeter pousse d'ailleurs le plaisir jusqu'à emprunter subtilement le style littéraire de l'époque pour donner à son roman ce fumet rêveur des livres retrouvés dans une bibliothèque oubliée, ce qui ne nuit en rien à son inspiration.
Inspiration fort riche si l'on en juge par l'abondance des intrigues, mystères et rebondissements qui entraînent son héros, George Dower, aux confins d'un délire moderniste et suranné. Car, plus que pour la jouissance de découvrir un scénario solide où chaque événement “se mord la queue”, c'est-à-dire trouve sa conclusion logique, Machines infernales vaut pour sa richesse d'invention. Rousselienne quant à l'automate absolu imitant Paganini à la perfection et jusque dans les détails intimes de sa vie ; lovecraftienne quant aux monstres venus de la mer et leurs descendants immondes ; wellsienne quant aux machines à remonter les multiples dimensions de l'humour dont Jeter nous régale. Mais j'arrête mon énumération trop alléchante de peur qu'on se méprenne : Machines infernales, s'il dépasse très largement son but, se présente plutôt comme un divertissement que comme une œuvre majeure.