Jonathan Carroll : Ombres complices
(Voice of our shadow, 1983)
roman fantastique
- par ailleurs :
Dans quel but un éditeur baptise-t-il "Science-Fiction" ce qui n'en est absolument pas ? Ombres complices, le dernier roman de Jonathan Carroll paru chez J'ai lu, avait-il besoin de ce label pour se vendre ? Certes, déjà le précédent ouvrage de cet auteur, le Pays du fou rire, qui obtint le prix Apollo, frisait les franges extrêmes du genre, mais s'y rattachait par le concept créatif qui l'animait. Puisque notre écrivain entrait dans la carrière par la filière SF, il eût été décevant pour les lecteurs de s'apercevoir qu'ils n'en lisaient pas tout en en lisant.
Aussi m'embarquai-je pour Vienne où se déroule l'action d'Ombres complices, comme si je n'avais pas lu cette critique, avec la certitude d'y rencontrer à un moment l'indice que je cherchais pour me dire : tiens, voilà un roman de Science-Fiction !
Le suspense fut intégral puisque je sus à la dernière ligne que j'avais dégusté un roman fantastique traditionnel sans le moindre symptôme de SF, même en furetant entre les mots. J'eus un doute page 78, quand les personnages principaux trinquèrent autour d'une bouteille de champagne albanais. Mais, après tout, en ces temps de tempête à l'Est, il se pouvait que la réforme idéologique passât dans ce pays (l'Albanie) par l'esprit du vin. J'imaginai donc que ce J'ai lu nº 2718 était baptisé “Science-Fiction” parce que la distorsion sémantique entre le label et l'œuvre créait l'effet spéculatif recherché.
Pourquoi cette sévérité doctrinaire, pensez-vous certainement ? De quel droit vous arrogez-vous le pouvoir de décider qu'un roman est de Science-Fiction ou non si vous devez science-ficter où l'on vous dit de faire ? C'est vrai ! Pour obtenir votre pardon, je vais vous raconter Ombres complices : un jeune intellectuel new-yorkais, qui a tué son frère quand ils étaient enfants parce qu'il le jalousait, fait un best-seller avec une pièce de théâtre adaptée d'une nouvelle qu'il a écrite sur la jeunesse délinquante. Mais cette pièce à succès est sans rapport avec son œuvre originale. Dégoûté et riche, il part à Vienne dans un obscur dessein littéraire. Il y rencontre un couple américain charmeur et cultivé qui le charme et qu'il cultive.
Je ne poursuivrai pas ce récit en risquant de dévaluer l'œuvre à vos yeux car j'ai de l'admiration pour Jonathan Carroll, dont la pâtisserie viennoise est une bulle de cauchemar hitchcockien, un véritable millefeuille d'humour.