Serge Brussolo : l'Homme aux yeux de napalm
roman de Science-Fiction, 1989
- par ailleurs :
Les pulsions de l'imaginaire conduisent parfois au désir de vivre intensément ses fantasmes. Hélas ! un têtu tête-à-tête avec le quotidien dissipe les plus chaudes exhalaisons de notre cerveau. Serge Brussolo, dont les circonvolutions cérébrales abritent un tumultueux bestiaire d'idées, ne se résout pas à cette usure. Voilà pourquoi il bombarde l'existence de sa littérature nocturne. Cette fois, il salue l'année nouvelle avec l'Homme aux yeux de napalm, où son horreur du temps de l'enfance lui inspire de viscéraux frissons.
N'est-il pas odieux, pense Brussolo, cet asservissant univers de Noël où les rêves des garçonnets et des fillettes sont soumis au marketing ? De quoi sortir son fly-tox pour chasser le mythe. Mais chez cet écrivain, la ligne droite n'est pas le plus court chemin entre le commencement et la fin d'un cauchemar. Aussi charge-t-il son arme d'une encre adipeuse, capable d'engluer dans la prose ses plus sombres visions afin de tracer un roman-labyrinthe.
Drame protéiforme de l'incommunicabilité, l'Homme aux yeux de napalm débute dans le bureau d'un éditeur où Marie Trévor lit Père Noël-Kommando, le cœur au bord des lèvres. Cette directrice de collection déteste la Science-Fiction. David Sarella, qui en écrit, lui rend cordialement cette haine. D'ailleurs, il a horreur de tout ce que “pondent” les autres. Pourtant, David a une raison majeure de se lancer dans cette œuvre : le Père Noël, il l'a heurté jadis d'un coup d'aile de voiture au cours d'une virée en famille. Avec son copain Jean-Jacques, dit le Culturiste fou, il s'est même amusé à disséquer ce cadavre clos. Dommage, car depuis, la créature extraterrestre les poursuit d'une furieuse vindicte qui n'épargne ni la réalité ni les songes.
« Quand le Père Noël vous pisse dessus, on a intérêt à sortir le canot de sauvetage »
. Mais voilà ! David est masochiste. Au lieu de s'enfuir à toutes rames, il fait face et résiste. D'où ce drame de l'étouffement d'un écrivain saisi d'asthme à la lecture de son propre synopsis, d'où cette noyade en forme de roman de SF où le style de Brussolo coule tel du ketchup fermenté à l'intérieur d'un hamburger moisi. Au cœur de sa mêlée organique avec le conte de Noël, il baigne dans le nauséeux, l'obscur, le purulent, le glauque avec un talent qui n'épargne ni les bonnes ni les mauvaises idées. Un courageux effort pour réduire en bouillie les stéréotypes de l'enfance, surtout aux éditions Denoël. Ah ! le vilain garçon qui sera privé de prix littéraire.