Pierre Stolze : Cent Mille Images
roman de Science-Fiction, 1990
- par ailleurs :
La SF doit-elle toujours aller de pair avec la modernité ? Ou bien, se repliant sur ses sources, peut-elle découvrir une voie qui lui serait propre, entre mystère et fantastique, entre légende et fantaisie ? Pierre Stolze s'est chargé de l'explorer. Vous savez quel agacement provoque la lecture d'un livre dont le thème vous hérisse, tandis que la structure et la forme vous incitent à poursuivre. Cent Mille Images, son dernier roman paru, en est l'exemple parfait. D'une part, un récit qui puise à l'atmosphère des contes chinois, de la mythologie indienne et des récits tibétains, dont la colonne vertébrale s'architecture sur un fond post-écolo, de l'autre un intéressant travail d'écriture, une remarquable assise culturelle, un sens de l'événement qui confèrent au roman sa magie.
Sur Terre, le paysage ne s'est jamais remis de ses émois atomiques ni des expériences de pollution incontrôlée auxquelles se sont livrés ses habitants. La dernière réincarnation de Vishnu, qui s'appelle Georges, et trois célestes Reines Mages sont à la recherche d'une tulkou-tulpa animant des zombies et zombie elle-même, la délicieuse Radda. Un mystérieux monsieur Ka, ex-éminence grise de l'empire galactique, la recueille et la protège dans sa radieuse oasis de Turfan, au bord du désert du Taklimakan. Planent sur cette histoire les images symboliques d'Alexandra David Neel et de Pinocchio.
Ainsi résumé, ce livre pourrait vous apparaître comme ballardien. Je vous détrompe immédiatement. Rien ne jaillit de cette collision thématique qui n'ait déjà été exploré depuis des siècles. Redupliquant les méthodes de la fiction spéculative et de la pop music afin d'obtenir des concepts nouveaux à partir du brassage d'éléments anciens, Pierre Stolze ne parvient jamais à décoller du mythe. Tandis qu'il procède par cut-up à son accumulation d'images tirées du merveilleux scientifique et de la religion bouddhiste, son roman s'engloutit dans l'atmosphère des contes et légendes sans s'élever à la création pure. On songe à un Vathek de l'extrême-orient. Même s'il traite d'une manière sous-jacente de la symbolique freudienne du père, idéalisé par l'enfant qui se croit bâtard. Même s'il introduit habilement le doute existentiel du héros de roman à propos de son créateur illusoire, Cent Mille Images demeure avant tout un pur feu d'artifice où rien n'explose vraiment, sinon le charme. Car, c'est indéniable, si ce livre a plus de rapports avec l'Épopée de Gilgamesh qu'avec le Frankenstein de Mary Shelley, il demeure captivant d'un bout à l'autre, parce que l'auteur en est un.