Bruce Sterling : les Mailles du réseau
(Islands in the net, 1988)
roman de Science-Fiction en deux tomes
- par ailleurs :
Cet innocent jeu de mots pour vous parler des Mailles du réseau, le dernier roman de Bruce Sterling, si épais qu'il est paru en deux volumes chez Denoël. Il y a onze ans, avec la Baleine des sables, cet auteur doué d'une excellente imagination travaillait sous l'influence de Verne et de Melville. Aujourd'hui, il s'est hissé au rôle de leader du cyberpunk. Connaissez-vous ce mouvement ? Jean Bonnefoy, le traducteur du roman, en tente l'approche dans une préface en forme de logiciel. Déjà, si vous n'avez pas les neurones en fibres synthétiques et les axones en chewing gum, vous avez peu de chance de trouver un sens à son salmigondis, mais lorsqu'il dresse une liste de comparaison exhaustive où se trouvent pêle-mêle John Brunner, Michel Jeury et William Gibson, cela devient fatal à la démonstration. Car, comment définir un mouvement en arguant qu'il s'agit de tout et de n'importe quoi. Cyberpunk est à la Science-Fiction ce que le traitement de texte est à l'écriture. C'est dire qu'une fois imprimé, personne ne peut s'apercevoir de la différence.
Mais revenons aux Mailles du réseau, certainement ce qu'un écrivain a écrit de plus intéressant sur une certaine vision américaine du monde dans les décennies qui nous attendent.
« Il faut savoir préparer l'avenir, »
dit Laura à sa mère, « et ça n'a jamais été le fort de ta génération. »
Laura Webster sait donner des leçons. Comme son mari David, elle fait partie de Rizome, sorte de franc-maçonnerie baba. Missionnaires d'une mystique post-industrielle, immergée dans le “réseau” qui innerve la planète, ils reçoivent chez eux trois pirates internationaux de données informatiques afin de les neutraliser. Le représentant de la Grenade est tué sous leurs yeux. Soupçonneux, ils partent chez les rastas-cocos pour leur donner une leçon de savoir-vivre. Avec leurs lunettes vidéo, ils vont jouer à la Mort en direct. À partir de là, reprenant les recettes du roman traditionnel, brassant thriller, Espionnage et SF, Sterling va brosser un portrait crépitant de notre planète aux environs de 2020.
Le glissement progressif du futur n'a pas tellement changé les marques de l'Humanité. Le Tiers monde regorge de guerres et guérillas, dictateurs fous et lumpen abusé. Les Mailles du réseau servent encore mieux à leurs desseins d'abrutissement populaire. Les organisations terroristes n'oublient pas aussi d'en jouer.
L'art spéculatif de Sterling consiste à confronter ce schéma à une audacieuse grille de lecture, celle du management libéro-capitalo-écolo-branché de l'American way of life de demain.
Variation sur le thème du touriste made in USA visitant l'outre-monde sans papiers ni carte de crédit, les Mailles du réseau conte les vertiges d'une brave yankee déconnectée à la recherche de ses repères. Plus le décalage lui apparaît entre ses convictions post-industrielles et la réalité pré-industrielle, plus Laura Webster va s'acharner dans ses erreurs. Jusqu'à découvrir enfin qu'on ne fait pas d'omelette idéologique sans casser les œufs des pigeons.
Humour, fièvre, délire, rythme, passion, tels sont les atouts de ce roman qui, bien qu'un peu décousu dans sa dernière partie, s'affirme comme une tentative de réconciliation réussie entre le radicalisme de la Vie en temps de guerre de Lucius Shepard et la SF bon teint de papa Benford.