K.W. Jeter : Horizon vertical
(Farewell horizontal, 1989)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Ce n'est pas tous les jours dimanche chez K.W. Jeter, écrivain protéiforme. Son inspiration en forme de tête chercheuse balaye tout le champ romanesque pour y trouver de quoi survivre. Il en résulte souvent de bons textes professionnels, rarement une œuvre qui émerge de la production courante. C'est le cas d'Horizon vertical chez J'ai lu, une manière d'exercice de style qui mériterait une médaille aux jeux olympiques de la SF. Évitant les pièges de la récurrence et de la redondance, Jeter démarre sur une idée originale : un monde cylindrique où l'homme doit se déplacer verticalement, arrimé à la surface afin de ne pas céder à l'attraction vers le bas.
D'où un coup de rein particulièrement vivace chez les marginaux qui ont choisi d'y vivre, fuyant la quiétude horizontale que nous connaissons et qui subsiste à l'intérieur des parois du cylindre. Pour l'initié, il s'avère intéressant d'analyser du point de vue sémantique la structure descriptive de l'impossible humain poussé à son paroxysme. Pour le spécialiste, de vérifier comment Jeter parvient à ne pas s'emmêler dans les câbles qu'il tend à la surface du récit pour s'y maintenir, dans les crochets qui permettent aux personnages de s'y cramponner ; et même de se déplacer sur une vieille Norton avec sidecar. Nul doute, l'artiste parvient à nous entraîner avec Ny Axxter, un graffex (maître du tatouage électronique), sur cet univers incompréhensible et logique au-dessus duquel planent des créatures de méthane au sourire angélique, au cours d'une exploration passionnante et poétique. Pour le reste : poursuivants machiavéliques, faux Hells Angels schwarzeneggeriens déguisés en Rambo de Mad Max, on s'en passerait.
Mais revenons à la proposition et à sa thématique. Comme dans un récit de Science-Fiction classique, ce cylindre absurde, orbitant obstinément autour d'un soleil factice, est aux mains de puissances occultes dont le héros entraînera fortuitement la destruction. La subtilité de Jeter, c'est d'introduire un dénominateur commun entre les factions en présence, Info-Express, dont le capital image défile devant vos yeux sur un simple appel du doigt. Accréditée par le mythe des jeunes pirates capables de déjouer les pires verrous informatiques, la véracité de ses informations n'est mise en doute par aucun de ses abonnés. Les gogos en redemandent. Mais son utilisation coûte cher et l'omniprésente agence audiovisuelle paye fort mal ses free-lance. À force de vouloir toucher le gros paquet par des scoops, Ny finira par faire exploser le pot aux roses.
Ainsi, l'habituelle morale chère aux pionniers du genre est détournée. Ce n'est plus par la noblesse de comportement, l'audace guerrière ou l'imagination scientifique que le héros conduira à la révolution, mais par le fric !
Ce coup de pied à l'âne réjouira les amateurs de performances paradoxales. Tant de suiveurs aveugles ont claironné après André Malraux que le xxie siècle serait religieux ou ne serait pas ! K.W. Jeter nous démontre sans faille que la vraie religion sera celle de l'argent. La voie de l'humour glacé, du nonsense équilibriste et du scénario bien construit qu'il a choisie me semble préférable à celle empruntée par les Nouveaux Philosophes.