Jack Womack : Terraplane
(Terraplane, 1988)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Deux excellents romans ce mois-ci. Bonne nouvelle, d'autant qu'ils ont été écrits par des auteurs inconnus en France jusqu'à ce jour. Le fait devenait rare. L'un nous parle du passé, l'autre de l'avenir, mais leur propos consiste dans les deux cas à spéculer sur notre façon de saisir les données d'une illusion qui s'appelle la vie.
Dans Terraplane, Jack Womack s'attache à recréer une Amérique 1939 sans complicité frauduleuse avec la nostalgie. Brouillant les cartes, il imagine que ses visiteurs sont des agents américains de notre futur, chargés d'importer aux USA le découvreur soviétique d'une machine à voyager dans le temps. D'où le décalage accentué entre la mentalité des personnages putatifs et celle de leurs hôtes “début de siècle”. C'est d'ailleurs dans cet exercice de style que Womack se révèle le meilleur. Le langage imagé qu'il utilise pour authentifier l'origine de ses héros, néologismes barbares issus d'une novlangue à venir, agace d'abord. Puis, à mesure qu'elle se développe au sein d'une culture que nous connaissons bien pour l'avoir découverte à travers Dos Passos ou Frank Capra, sa logique littéraire fonctionne à la manière d'une maïeutique. D'un côté sont les représentants de l'urgence et de l'efficacité, usant de mots-valises à l'emballage sémantique codifié, de l'autre sont les descendants de la tradition orale, imagée et rêveuse, dont le verbe va se figer en s'inscrivant dans un contexte urbain.
Le plus bizarre dans la paranoïa, c'est que plus les gens sont proches, moins on s'y fie, alors qu'un étranger pourra se révéler le plus sûr confident, pense Luther, militaire, gradé et noir, de ses relations avec Doc, médecin, noir et ancien esclave de Coca-Cola. Cette confiance sans appel devient nécessité quand on se trouve plongé dans une époque dont les données ne sont pas sûres car il s'agit d'un univers parallèle. La seule certitude qui demeure lorsque Churchill et Roosevelt sont morts, c'est qu'un nègre, à New York, en 1939, année de l'exposition universelle, ne mérite que le lynchage ou la bastonnade. Même pour un habitant de l'avenir aux réflexes rapides, usant d'une technologie de pointe, cela ne facilite pas la tâche.
Ainsi en sera-t-il de la quête forcenée que mènera Luther en compagnie de son tueur familier, Jake, et d'Oktobriana, sa consœur soviétique, pour découvrir le moyen de regagner leur siècle.
Astucieux, original, égayé de cent clins d'œil intelligents, Terraplane est un retour sans complaisance aux origines d'une certaine Science-Fiction, divertissante et grave, dont Fredric Brown s'était fait le champion avec l'Univers en folie.