Raymond Milési : Chien bleu couronné
roman de Science-Fiction, 1991
- par ailleurs :
J'essaye, et c'est hélas de plus en plus facile, de ne rien ignorer des parutions françaises en matière de SF. Si les éditions du Fleuve noir, par exemple, publient une nuée d'imbécillités ou de romans fragmentés artificiellement en quatre ou cinq volumes qu'il faut attendre un an pour voir paraître, à un prix finalement supérieur à celui d'un "Ailleurs et demain", la pêche n'y est pas toujours mauvaise. À côté de la friture, on prend des poissons rares, voire savoureux. Le premier roman de Raymond Milési, Chien bleu couronné, vaut la peine qu'on le consomme. Ce jeune écrivain fut avec Bernard Stephan l'anthologiste d'une série de huit volumes sur le pouvoir intitulée Mouvance. Bien que les nouvelles choisies fussent de qualité très inégale, l'ensemble fit date pour l'originalité de son propos et sa tenue littéraire.
Encouragé par l'exemple, Milési s'essaya à l'écriture dans les fanzines et dans Fiction. Bref, comme le proclamait le Petit silence illustré : « C'est en écrivant qu'il devint écriveron. »
. Certes, proposer Chien bleu couronné dans une collection populaire est un pari. Car cette œuvre sophistiquée mêle à la tradition du suspense une complexité de situation, un art de l'ellipse qui ne refuse pas le plaisir de la difficulté. C'est pourquoi il faut pardonner une baisse de qualité dans les tout derniers chapitres. Milési n'a sans doute eu ni le temps ni les moyens de poursuivre son itinéraire spéculatif jusqu'à son terme.
Je n'hésiterai pas à qualifier d'exemplaires les deux premiers tiers de ce récit. Par une suite de tableaux savamment décalés, on apprend que des voyageurs draguent le passé à la recherche d'un certain Gaspar, astronaute, dont on croit savoir qu'il détient entre ses mains le sort de l'Humanité. Il a rencontré Rugmore, le grand moissonneur universel, lancé à nos trousses sur la spirale du temps. Une Planète Géante menace la Terre.
Émergence dans le désordre de situations extrêmes, de personnages à la sensibilité écorchée qui peu à peu élèvent nos lacunes au rang d'informations. Écriture fine et vive, dialogues précis, composition en camaïeu pour une évocation fragmentaire d'un monde putatif ; l'angoisse monte. Soudain, la bulle éclate et nous voilà tout déconfits devant la genèse d'un autre roman à venir.
Chien bleu couronné, qu'il faut lire, nous laisse espérer beaucoup du prochain Milési.
Il appartient, comme Christopher Priest, à cette race d'écrivains lacunaires dont l'art consiste à cerner une situation romanesque par ses manques et ses protagonistes par leur mystère afin d'éclairer les implications sous-jacentes de son récit, plus essentielles à ses yeux que les apparences.