Sylvie Denis : Century XXI
anthologie de fiction spéculative britannique, 1995
- par ailleurs :
Peut-être éprouverez-vous quelques difficultés à vous procurer Century XXI : la nouvelle fiction spéculative britannique, mais la qualité exceptionnelle de ce volume mérite un effort. En France, où nous sommes sevrés de nouvelles fraîches depuis la disparition des revues de SF et l'absence totale d'anthologies dignes de ce nom, ce recueil de textes parus entre 1985 et 1992 fait l'effet d'un bain de jouvence. À travers une quarantaine de numéros d'Interzone, Sylvie Denis révèle neuf jeunes auteurs à peu près inconnus dans notre pays. À part Brian Stableford, dont on pourra lire "Mortel immortel", fort belle interrogation sur les fins de l'existentialisme.
Quoi de plus alléchant que de deviner l'avenir à travers la pensée britannique. Chaque imaginaire a son terroir. C'est l'intérêt majeur du récit de Kim Newman, "le Retour du docteur Shade", de traiter tout à la fois d'un problème universel, l'immigration, en termes de SF et d'y apporter sa touche londonienne. Brassant vieille BD, patriotes revanchards et lâcheté intellectuelle en un cocktail des plus réjouissants, Newman nous donne l'impatience de lire d'autres traductions de ses textes. Ian Lee, avec "Il était une fois dans le parc", s'avère tout aussi personnel. Son délire jardinier où les chaises longues paissent sur les frais gazons rend un hommage tragique et burlesque à la décadence de l'empire britannique.
Dans ma hiérarchie, je placerai tout de suite après "Rêves d'Epsilon" d'Eric Brown, qui se situe dans la veine du Triangle à quatre côtés de William F. Temple, roman de Science-Fiction sentimentale qui fit les beaux jours du "Rayon fantastique". Quand les rapports amoureux s'appuient sur des avancées technologiques, cela permet de varier à l'infini les positions du triangle. Dans "Rêves d'Epsilon", les variations incestueuses à multiples niveaux causées à la suite de la greffe mentale (par le père) d'une mère défunte dans le corps de la maîtresse de sa fille sont d'une ravissante perversité.
Greg Egan fait partie de la jeune génération d'auteurs australiens. "En apprenant à être moi" traite avec maestria du problème de l'identité par rapport au vieillissement. Grâce à l'informatique appliquée à la personnalité, il tente de répondre à cette question : est-on obligé pour survivre de tuer l'enfant, l'adolescent qui furent en soi ?
"Toxine" de Richard Calder, qu'on pourrait sous-titrer l'Ève intérieure en hommage à Villiers de L'Isle-Adam, et "Amour-fou" d'Ian R. MacLeod se situent aux franges du Fantastique, dans une tonalité fort originale.
C'est à mon avis, la première fois que s'affirme aussi clairement, chez de jeunes auteurs, cette indispensable relecture de la Science-Fiction classique qui revitalisera le genre. Les Britanniques bénéficient du vecteur d'une revue pour y parvenir, d'où l'effet d'échanges et d'analyses réciproques entre les écrivains qui fertilise leurs talents. On le voit, par sa diversité thématique, son invention spéculative, sa richesse d'écriture, Century XXI se place parmi les événements littéraires de l'année.