Connie Willis : Remake
(Remake, 1994)
roman de Science-Fiction
« Arrachons le voile »
, comme y incitait Mustafa Kemal Atatürk, pour examiner les parutions de la rentrée, version féminine.
Quel auteur n'a pas rêvé de faire émerger ses héros d'un film vers la réalité ? Romanciers, cinéastes, hommes de radio s'y sont employés, jusqu'à Woody Allen avec sa Rose pourpre du Caire, dont l'idée unique s'étiolait jusqu'à l'évaporation du propos. Mais faire pénétrer des personnages réels dans un film, à ma connaissance, personne n'y avait pensé. Connie Willis, écrivaine américaine bardée de prix littéraires réservés à la Science-Fiction (Hugo, Nebula, Campbell Award), nous offre, avec Remake, quelques divertissantes variations sur ce thème.
Dans l'univers futur où se déroule l'action, plus besoin de tourner la moindre bande : en effet, dans le stock cinématographique de l'Humanité, toutes les situations, tous les sentiments ont été décrits au moins une fois. En réutilisant cette banque de données, en mixant les scénarios, et surtout en prélevant les images des acteurs du passé pour les réutiliser virtuellement, il est possible de produire autant de films qu'on voudra à moindres frais et à moindre fatigue intellectuelle. C'est ainsi que le cinéma créatif s'est arrêté à la fin des années quatre-vingt-dix. Désormais, Bela Lugosi donne la réplique à Sharon Stone et Humphrey Bogart à Laurel et Hardy.
Tom, pigiste impécunieux exploité par les majors des grandes compagnies numériques, est contraint d'effacer par contrat chaque plan où apparaît un verre d'alcool (déjà la ligue antitabac a nettoyé ceux où figuraient des cigarettes). Croisière morale dont il souffre en silence. À Hollywood, il rencontre Alis, starlette sans emploi puisqu'il n'existe plus ni studio ni caméra. Malgré l'absence de scénaristes et de metteurs en scène, celle-ci espère tourner dans un vrai film.
Un jour, ne semble-t-il pas à Tom, en visionnant ses stocks, qu'elle apparaît dans Drôle de frimousse, réalisé en 1957.
La SF moderne part du point de vue que la SF existe et qu'il n'est plus besoin de démontrer comment elle fonctionne. Aussi Connie Willis s'embarrasse peu de considérations technologiques pour construire sa fiction. Vif et plein d'humour, ce petit roman s'adresse surtout aux nostalgiques de Fred Astaire et de la comédie musicale. Il pourrait servir de référence afin d'établir un quiz pour Monsieur Cinéma. À ceux qui croient avoir tout compris dès la première ligne, Connie Willis sait réserver des surprises qui relancent le suspense. Au fil du bavardage, elle lâche aussi quelques traits corrosifs sur la société du spectacle. Et même si le dénouement ressemble à celui qu'on avait deviné, il ne se conforme subtilement pas aux prévisions.