Clifford D. Simak : Visions d'antan
nouvelles de Science-Fiction [réunies par Jacques Sadoul ?], 1997
- par ailleurs :
« Qu'y a-t-il de plus abject que le fait d'écrire des livres à la main ? »
demande Kemp Hart, écrivain impécunieux en perte d'inspiration. « En effet ! C'est une chose honteuse dont on ne parle pas, un point c'est tout. Autant manger avec ses doigts, roter à la face des gens ou se promener tout nu. »
répond Angela, amie et consœur. Car, à cette époque où les Terriens n'ont rien à vendre d'autre que leurs romans aux autres peuples de la Galaxie, pas question d'écrire sans un narrateur électronique. Et les modèles haut de gamme sont trop chers. Comment Hart s'en sortira-t-il, lui qui ne possède qu'un modèle antique et délabré ?
Sur ce thème décapant, Clifford D. Simak anticipe d'une trentaine d'années sur les excès du traitement de texte appliqué à la littérature. Avec quel brio et quel calme, quelle profondeur de vue et quel humour tendre il parodie notre futur dans ces "Visions d'antan", première des quatre longues nouvelles rassemblées sous ce titre et pour notre plaisir. Authentique bombe glacée de la SF des années cinquante, il témoigne de la pérennité spéculative de cet écrivain majeur.
Dans "Génération terminus", un vaisseau spatial fonce depuis mille ans vers la Terre promise. L'oubli y a effectué son travail de deuil. Tous les livres ont été désintégrés. Car, comme disait le calife Omar en faisant brûler la bibliothèque d'Alexandrie : « Soit ils disent la même chose que le Coran, donc ils sont inutiles. Soit ils disent autre chose, alors ils sont dangereux. »
. Et nul passager du navire stellaire ne veut savoir quel est le sens de son destin. Sauf un. Métaphore d'une Humanité aveugle qui préfère sacrifier ses intellectuels, chercheurs et artistes inspirés au prix d'une vie bien cirée, parcourue sur les patins de l'ignorance.
« Nos sociétés sont entrées dans l'ère de la gestion. La productivité, le profit sont désormais les maîtres mots. Un arsenal de lois écrasent l'individu, dont l'existence s'identifie de plus en plus à une série de numéros. »
La révolution anticapitaliste est pour demain. « Qu'à cela ne tienne ! »
répond Simak dans "la Maison des pingouins". Les multinationales sauront inventer des programmes pour faire avaler la pilule du bonheur à l'Humanité. En parquant ses moutons bêlants dans le Jurassique, par exemple.
Et même s'il existe quelques spécimens au Q.I. explosif, à l'adaptabilité exceptionnelle, ne devront-ils pas faire télépathe de velours en s'expatriant sur Kimon, comme le héros de "l'Immigrant" ? Car cette planète abrite la crème de la galaxie : des extraterrestres tellement supérieurs à nous qu'ils mettraient Einstein à la maternelle au vu de ses connaissances.
On le voit, pour Simak, si l'avenir n'est pas rose, il est néanmoins réjouissant — ne serait-ce qu'à nos dépens. Surtout parce que l'Homme montre une foi inébranlable en son avenir, qu'il ne peut s'empêcher de croire à son importance dans l'univers. Nul ne connaît d'autre moyen plus efficace, pour faire face au malaise existentiel, que de lutter contre l'entropie. Sachant créer les conditions de sa déchéance, parfois par cruauté, parfois pour se défendre, quelquefois même par générosité, ses efforts de rachat trahissent sa maladresse et son affectivité.
Quoi qu'il en soit, l'être humain n'est pas un animal comme un autre, parce qu'il sait rire et respecter les étoiles, pense l'auteur de Demain les chiens.