Maurice G. Dantec : Babylon babies
roman de Science-Fiction, 1999
- par ailleurs :
Quand le messager ARN apparaît soudain aux yeux de Marie Zorn, schizophrène à plein-temps, se supplantant à l'image de l'ange de l'Annonciation, la lecture de Babylon babies s'éclaire : Maurice G. Dantec vient d'être saisi d'une crise de mysticisme techno-acide. Son roman se veut l'expression d'un “big bang à Lula” transgénique : Marie Zorn est mère porteuse (d'on ne sait quoi). Quelques lecteurs s'en doutaient depuis l'apparition de l'antihéroïne, mais la confirmation n'arrivera que page 409. Ce dont elle accouchera sera peut-être la prochaine étape après l'Homme.
« Le processeur narratif de l'écrivain est en quelque sorte directement connecté à son code génétique »
dit à peu près Darquandier à Toorop, ou Thorpe selon le cas. Le premier est un savant fou cru 2014, inventeur d'une schizomachine appelée Joe-Jane, le second un mercenaire serial killer, qui va convoyer Marie au Canada pour le compte de la mafia tchétchèno-bulgare, apparentée russo-oïghoure.
Dès lors, Dantec va nous emporter dans un “voyage” aux rebondissements innombrables, ou il tente de compresser avec verve toutes les composantes “tendance” de la fin du xxe siècle, manipulations biologiques, délire informatique, sectes barjos, drogues au-delà de l'illicite, stratégies militaires façon Otan, etc. Sans compter ses inventions propres, médicaments à moteur de recherche, robots homosexuels, crypto-virus télécommandés. Son roman-collage rock attitude est à la Science-Fiction ce que le Nouveau réalisme et la Figuration narrative sont au Pop Art, soit une sonorité spécifiquement européenne de traiter plastiquement du monde contemporain.
J'aurais volontiers qualifié Babylon babies d'olni (objet littéraire non identifié). L'éditeur a préféré le classer parmi les polars de SF. En un sens, il n'a pas tort. Dans ce genre nouveau, par nature métis, la science ne fait plus partie du projet. Nous sommes bien loin de ce que Jean-Jacques Bridenne nommait en 1950, dans le premier ouvrage d'étude sur le genre : « la littérature d'imagination scientifique »
. Ici, désormais, la spéculation sur les progrès ou les dangers de la science est close. La technologie règle les dettes séculaires accumulées par les savants ; car son pouvoir ne saurait être mis en doute. Virtuel à s'en faire péter les synapses, mais aussi plus réel que le réel, il devient difficile de cataloguer l'objet technologique dans les catégories nuisibles ou bénéfiques. Source d'innombrables artefacts mentaux dans l'inconscient collectif, il tient lieu de réflexion, sans engagement de l'auteur. Indiscutable, il est la concrétion sublime de la décadence millénariste, entre l'urinoir de Duchamp et le microprocesseur. En peuplant son texte d'icones post-futuristes, Maurice G. Dantec accède à une forme de transsubstantiation de la modernité par l'écriture.
Dommage que ce roman torrentueux et talentueux ne tienne pas ses promesses d'un bout à l'autre. Je connais en effet deux manières de créer un suspense : structurer le récit de manière à enchaîner les rebondissements spectaculaires, ou retenir l'information vis-à-vis du lecteur-qui-n'est-pas-si-sot. Dantec a choisi cette seconde méthode qui ouvre souvent de grosses failles dans le récit.
Mais ce serait dommage, pour cette raison mineure, de négliger Babylon babies. Je l'ai déjà écrit et ne me renie, Maurice G. Dantec fait partie de ces très rares feuilletonistes de génie dont nous guettons l'apparition d'une œuvre avec avidité.