Robert Reed : Béantes portes du ciel
(Beneath the gated sky, 1997)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Sans être un véritable novateur, Robert Reed surprend agréablement à chacun de ses nouveaux romans. Sa capacité à traduire une atmosphère étrange par un souci du détail quotidien s'ajoute chez lui à une qualité rare, celle de traduire des hypothèses conjecturales en termes simples, en situations claires. Et cela grâce à un art de l'ellipse qui n'est pas l'atout majeur des nouveaux écrivains de SF américains, souvent démonstratifs et copieux au point qu'on souffre d'indigestion rien qu'en considérant l'épaisseur de leurs œuvres calibrées pour le succès.
Dans son dernier roman, Béantes portes du ciel, on retrouve plusieurs thèmes similaires à ceux qu'il exploitait déjà dans ses œuvres antérieures : la présence infuse d'extraterrestres sur notre sol, capables de sauter de planète en planète par de mystérieuses voies de passage, ou la modification de notre horizon sidéral par une distorsion de l'espace-temps. On y poursuit les aventures de Cornell et de Porsche, héros du Voile de l'espace, à ceci près qu'on pénètre l'intimité des Infimes — ainsi se nomment par modestie ceux qui possèdent la maîtrise des “intrusions”, trous-tunnels par où l'on passe par exemple de Jarrtee à la Terre. En moins de temps qu'il ne faut pour y penser, l'extraterrestre se retrouve brusquement dans la peau d'un Humain, ou vice versa ainsi qu'on le verra par la suite. Ce n'est pas un embarras insurmontable, assure Porsche, que l'on découvre au moment où elle s'expatrie de Jarrtee avec sa famille entière pour avoir révélé quelques secrets d'Infimes à son petit ami local.
La transformation physiologique pose néanmoins quelques problèmes d'adaptation que l'on aurait souhaité voir approfondis en termes plus “physiques”. L'auteur se contente souvent de rester à la surface de la métamorphose. Par contre, l'apprentissage des gestes et des coutumes, la découverte de la psychologie d'une race étrangère donne lieu à quelques flash-backs émoustillants où l'on assiste à la transmutation des souvenirs par le vécu. À son aisance narrative, Reed sait adjoindre une disposition élective pour le mélo qui s'avère assez vivifiante, en produisant un type de conflits de caractère émotionnel entre ses personnages. Si elles ne sont pas traitées en profondeur, ces notations affectives nuisent au traitement spéculatif d'un récit de Science-Fiction. Chez lui, elles s'y intègrent et l'enrichissent, car il sait lier le comportement de ses personnages à leur nature exogène.
L'aliénation (et les contrepoisons qu'elle développe) se révèle l'un des thèmes primordiaux de Reed, qui en traque les implications jusqu'aux bornes de l'univers où les Infimes ont établi leurs ultimes comptoirs. Mais ces derniers ne vendent rien, sinon l'idée d'infiltrer clandestinement les espèces intelligentes, afin de favoriser, de réguler leur évolution jusqu'à l'avènement d'une véritable conscience cosmique lors de lendemains indéterminés.
C'est ce qui a séduit Cornell, Terrien familier des intrusions, qui entre progressivement dans la confidence à mesure que Porsche les lui distille. Mais voilà que la Cosmic Event Agency, proche parente du service spécialisé des Men in black, flaire la piste des envahisseurs et s'emploie à les traquer pour des raisons peu philanthropiques. D'où s'ensuivent presque autant d'aventures et de rebondissements que de chapitres. Au terme desquels ne sont éclaircis que les détails. Ce qui augure probablement d'une suite que j'aborderai avec plaisir. Reed se laisse lire.