William Gibson : Tomorrow's parties
(All tomorrow's parties, 1999)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Nous voici revenus dans l'univers informatisé de demain, que William Gibson avait déjà évoqué à sa manière chatoyante dans Idoru. Soit un monde où le digital et le virtuel ont pris le pas sur le réel. Dans Tomorrow's parties, il n'est plus besoin de chercher à savoir comment fonctionnent les logiciels à partir de la douloureuse complicité d'un manuel abstrus : ceux-ci fonctionnent à votre place ou presque. D'ailleurs, l'électronique innerve votre vie.
Ce qui permet, aujourd'hui déjà, d'entendre parler Philippe Sollers à la télévision. Il dit tout sur la littérature du passé et du présent, il est disert, brillant, provocant, mais il n'écrira jamais le moindre mot pertinent sur l'avenir qui nous attend. Gibson, si. C'est sans doute l'un des écrivains les plus aptes à vous y introduire. La différence essentielle avec le Gibson première manière, celui de Neuromancien, c'est qu'auparavant l'auteur cherchait à vous éclater les neurones par des idées décapantes, une prose agressive, alors qu'aujourd'hui, il vous caresse l'hypothalamus par de subtiles visions de l'enfer postmoderne.
Dans celui-ci, la géographie a perdu son sens ; la paranoïa règne en maître ; des tueurs sans présence physique assassinent qui bon leur semble ; le “dancer” vous incite à l'accouplement. Mais la rigidité phallique qu'il procure se termine parfois en rigidité cadavérique ; les tags sont intelligents et se déplacent sur les murs pour fuir les vernis qui les absorbent ; la prohibition tabagique fait rage. Pour retrouver un semblant d'équilibre, les marginaux se réfugient dans les communautés interstitielles, les bohémies, sur un pont de NoCal (North California) où transitent les marchandises les plus diverses. Les nantis s'installent sur un site dans la copie virtuelle d'une cité. C'est la vie fantôme.
Depuis qu'il a absorbé du 5-SB, un produit expérimental, Laney a vu tout ce qu'on peut faire avec les bases de données et le mal qu'elles vous apportent en retour. Il commence à ressentir l'effet-traque. Réfugié dans une cité de carton pourrie, du côté de Shinjuku, il se demande si le trou ressenti au cœur de sa personne, cette omission parallèle à sa vie, ne serait pas « une absence dans son être au monde plus qu'une déficience »
.
Parce qu'il sait déterminer les points nodaux, nouveaux dessins émergeant dans la texture de l'Histoire, ou changement total annoncé depuis 1911, l'instant est venu de retrouver Rei Toei, l'Idoru, premier hologramme réel.
Dans Tomorrow's parties, il faut bien l'avouer, la spéculation laisse plutôt la place à l'écriture. Mais la fluidité du récit, véritable leçon de style composée de courts chapitres poétiquement titrés où alternent les personnages, nous permet de pénétrer par les sens à l'intérieur de ce grouillement interactif qu'est devenue la vie sur la planète. De dérapages en glissements, de surprises en découvertes, l'esprit s'insinue dans le futur. Comme de toutes choses fortes, il ne faut pas en abuser. Cette drogue dure peut s'avérer mortelle. Trop tard, j'y suis devenu “accro”.