Christopher Priest : le Prestige
(the Prestige, 1995)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Magie de la science, si célébrée jadis, puis galvaudée au point d'avoir disparu dans les oubliettes. Et pourtant, la Science-Fiction des premiers âges en est née. Jusqu'à ce que l'effet de souffle de la bombe d'Hiroshima produise en masse des écrivains contestataires qui en balayèrent les vestiges. Or, sans l'esprit scientifique — au sens le plus large du terme —, qui anime la spéculation, la SF mourrait sous perfusion avec la littérature générale. C'est pourquoi, en souterrain, un petit nombre de rêveurs maintient le cap vers le futur.
Par exemple, les représentants du courant steampunk, qui associent la technologie à l'uchronie pour concocter des romans doyliens, wellsiens, verniens où de précoces inventions font dévier l'Histoire. Ainsi, les ordinateurs à bielle de la Machine à différences de Gibson et Sterling, ou l'empire extraterrestre de Napoléon III dans la Lune seule le sait de Johan Heliot.
Christopher Priest, qui fut un initiateur en la matière avec la Machine à explorer l'espace paru en 1976, récidive avec le Prestige. Mais cette fois encore, il opère un travail novateur en ne jouant pas sur la reprise nostalgique de personnages de fiction, d'événements historiques détournés pour construire son roman. Celui-ci s'articule autour d'un combat titanesque — depuis la fin du xixe jusqu'au début du siècle dernier — entre deux célèbres prestidigitateurs, Alfred Borden et Rupert Angier. Ni l'un ni l'autre n'existèrent. Aussi Priest use-t-il du subterfuge d'un double, voire quadruple journal pour écrire le récit du conflit qui les opposa. Cet artifice littéraire présente l'intérêt majeur pour le lecteur de considérer des faits identiques sous un angle différent, sans jamais savoir jusqu'à la dernière ligne quelle est l'authentique version de l'histoire, s'il y a vraiment une vérité ou si l'art du double mensonge ou de la double objectivité a permis à l'auteur de nous jouer un superbe tour de passe-passe.
Car la passion, la fébrilité qui anime les deux adversaires engagés dans la conquête de leur art s'appuie d'abord sur la manipulation et les subterfuges. Les secrets de la prestidigitation qui se transmettent de maître à élève échappent au commun des spectateurs. Nous sommes toujours sous le charme des foulards qui apparaissent/disparaissent, des femmes en lévitation ou sciées, des cartes devinées, des cordes coupées qui se ressoudent. C'est donc sans éventer la mèche que Priest va s'exercer à transposer dans un fantastique exercice d'équilibriste les effets de l'illusionnisme à travers la magie du verbe. En nous racontant la naissance et l'apogée du meilleur tour de tous les temps : le Nouvel homme transporté, inventé par Borden, perfectionné par Angier.
Pour améliorer cet effet scénique inoubliable, jusqu'où son rival n'ira-t-il pas ? Vers ces limites extrêmes où la magie frôle la sorcellerie. Ou bien en s'associant à la fée électricité pour ressusciter l'indéniable fascination du mystère scientifique.
Tout le contraire de la Fantasy !