Greg Bear : l'Échelle de Darwin
(Darwin's radio, 1999)
roman de Science-Fiction
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On connaissait la fascination qu'exerce l'évolution de l'homo sapiens sur Greg Bear, comme l'intérêt qu'il porte aux interactions entre notre organisme et les virus. Dans la Musique du sang, son chef-d'œuvre initial, Bear avait traité de ses obsessions sur le mode du suspense apocalyptique. Voici que, la maturité venue, il revisite sa thématique à la lumière des dernières avancées de la science en matière de génome. Tout aussi spéculatif que ses premiers romans, l'Échelle de Darwin (Darwin's radio en original, titre qui me semble plus suggestif), montre aussi l'affinement de son écriture que sert tout en subtilité la traduction de Jean-Daniel Brèque. Bear s'affirme en partisan de la tendance fusion. Ce qui nous ramène à la Science-Fiction d'avant qu'on ne la spécifie, telle que H.G. Wells ou Maurice Renard l'avaient imaginée. C'est-à-dire un lieu littéraire où la prospective, l'art de l'extrapolation scientifique, la spéculation ne nuisent ni au style ni à la narration, mais amplifient la jubilation intellectuelle du lecteur. Ce qui est peu courant dans le roman ordinaire.
L'espèce humaine penserait-elle en tant qu'entité ? Les rétrovirus endogènes, qui peuplent notre banque de mémoire génétique, transmettraient-ils par les cellules sexuelles un message compressé, encodé, à travers des centaines, voire des milliers de générations. Jusqu'au jour où, pour des raisons en rapport direct avec notre environnement, ce message serait activé ? Le formidable bond en avant du progrès technologique, l'accroissement de l'information, les effets de la pollution viennent-ils de produire une mutation de l'espèce telle que les partisans du saltationisme n'osaient la prévoir ?
À la lumière de faits incroyables, toutes ces questions se pressent, brûlantes, dans l'esprit des chercheurs. Le charnier de Gordi, en Géorgie, révèle que tous les cadavres sont ceux de femmes enceintes. Dans une grotte des Alpes suisses, trois momies témoignent d'un curieux facteur déviant : SHEVA, rétrovirus fossile inhibé dans leur génome, capable de se transmettre latéralement.
Et voilà que SHEVA frappe aux USA. Les femmes avortent de curieux fœtus. Une épidémie terrifiante va-t-elle ravager l'espèce humaine ou produire l'Homme nouveau ?
Sur ce thème riche et signifiant, Greg Bear construit un récit enchevêtré dont les conséquences en forme de point d'interrogation chatouillent durement le nombril. Toutes les incertitudes, les angoisses de l'espèce humaine s'y trouvent exprimées. Car, devant le surgissement d'une mutation, « la chair est déconcertée »
. Mais le plus subtil peut-être tient dans la manière dont Bear évoque la pression du fric, l'absurde attitude des médias, les réactions grotesques du FBI, de la CIA, les pulsions paranoïaques de la foule, l'aveuglement des dirigeants. Il suggère qu'aux USA comme en France, hors du psychorigide et du libéral mimétique, l'homme politique informé/inspiré est en voie de disparition.