Norman Spinrad : Bleue comme une orange
(Greenhouse summer, 1999)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Sans nul doute, Norman Spinrad est le meilleur porte-parole de la Science-Fiction rock. Et s'il n'en reste qu'un, ce sera celui-là. Son engagement culmina dans l'un de ses romans les plus apocalyptiques, Rock machine, où la force persuasive, répétitive, quasi incantatoire des paroles du rock rythmait les chapitres comme un chant libératoire pour conduire le lecteur vers une approche révolutionnaire du chaos. Car l'art de Spinrad, depuis une bonne décennie, consiste à mettre en scène des minorités, sans appartenance politique clairement définie, luttant contre les menaces perverses du business et de la mondialisation. Pour faire naître des conflits spéculatifs brûlants.
Bleue comme une orange joue sur un mode burlesque et plus pervers dans les coulisses des grandes compagnies et des organisations du capitalisme parallèle qui se partagent le gâteau terrestre. Cette fois l'enjeu est d'importance puisqu'il s'agit ni plus ni moins du sort de la planète. Ça va chauffer, pensent les majors de Panem et Circenses, constatant les désastres mondiaux de l'effet de serre et jaugeant les moyens d'en engranger les bénéfices. Surtout en exploitant les Terres des Damnés, condamnées à payer au prix fort leur insuffisance technologique. Des prévisions font redouter l'apparition de la “condition Vénus” où toute vie cessera d'exister. Le sort des Humains se jouera-t-il à Paris où le “Machin” organise une conférence sur le sujet, stratagème destiné à étouffer la panique dans l'œuf. Trois forces sont en présence pour tirer les marrons du feu : P&C par le biais de son attachée médiatique, Monique Calhoun ; un extravagant couple de Sibériens que la tropicalisation des steppes a rendus richissimes ; les Mauvais Garçons, maffia anarchisante à la diplomatie tortueuse ; plus le Mossad en spécialiste de l'intervention musclée.
Polisseur d'ouvrages vingt fois sur le métier, Spinrad a désormais acquis un savoir-faire sans faille. Dotant son écriture d'un moteur de Rolls souple et feutré, avec des accélérations de Ferrari, procédant par touches, il donne à voir la catastrophe écolo économique qui s'annonce dans le cadre d'un Paris transformé en annexe de la Louisiane où s'exposent tous les “disney” de notre monde en voie de virtualisation.
En amorçant le suspense sous les dehors d'une bouffonnerie sociologique, il vise au plus profond. Amateur de dialogues au couteau, il dilue parfois son intrigue au cours de ping-pongs dialectiques un peu vains. Puis se rattrape soudain par un chapitre traversé d'éclairs d'intuitions. Car, sur ce thème diabolique, si fréquemment utilisé par la SF américaine contemporaine et paranoïaque, sa lucidité reste exemplaire. Pas de conclusions hâtives sur l'avenir climatique de la planète qui ne passent par une mise en perspective des véritables données en présence. Dans ce domaine où les facteurs aléatoires sont si nombreux, aucun modèle n'a jamais permis d'effectuer des pronostics fiables à moyen terme. Si le chaos intervient un jour, l'Homme, malgré sa mégalomanie proverbiale, n'en sera responsable que pour une part infime. Là se situe son véritable drame.