Greg Egan : Téranésie
(Teranesia, 1999)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
- amazon.fr
- exliibris.biblio
- kws.zine [ 1 ] [ 2 ]
Téranésie, le Greg Egan nouveau, vient d'arriver. Traditionnellement, il s'agit de le déguster en primeur. Cette année, les arômes exotiques dominent, les tanins spéculatifs sont riches, dégageant de vives fragrances bioéthiques.
C'est d'abord un plaidoyer antidarwinien qui exprime la révolte de l'auteur contre la modestie des moyens intellectuels et physiques de l'Humanité, limitée par l'Évolution, coupable d'erreurs sélectives impardonnables. En mesure d'atteindre des pics d'intelligence très limités, des performances physiques insuffisantes, l'Homme est en général satisfait de sa médiocrité. Celui qui voudra atteindre au vertige par l'excès se verra sanctionné par une descente au gouffre. Or, l'excès devrait être la norme pour s'opposer à la navrante épopée du confort édifiée par nos sociétés modernes. L'excès est la liberté.
Radha et Rajendra Suresh, biologistes, vont-ils découvrir à travers les papillons mutants d'un îlot perdu des Moluques la preuve qu'un changement est en train de s'opérer ? L'ajout d'erreurs aléatoires dans les séquences de la chaîne ADN oubliées par l'évolution, fabriquant de nouvelles protéines, comme celle dite de São Paulo, va-t-elle transformer les espèces ?
Des événements tragiques en Indonésie interrompront ces recherches.
Ce qui étonne, d'abord, dans Téranésie, c'est le parti pris inédit d'introduire une dimension psychologique au récit, dans la description des épreuves que vont traverser leurs enfants, Prabir et Madhusree, qui reprendront plus tard les travaux. L'occasion d'approfondir les désastres de l'enfance liés aux conflits de l'éducation, de la religion, des guerres. Bien que cette première partie ne laisse pas indifférente, on ne peut dire qu'Egan y soit passé maître. Même si elles sont teintées d'humour, ses explications hasardeuses sur le choix de l'homosexualité, sur les raisons de l'hostilité des ordinateurs envers les femmes, par exemple, laissent planer un doute sur les convictions de l'auteur, anticlérical et rationaliste acharné par ailleurs.
Par contre, dès qu'il revient à son style personnel où la spéculation quantique prend le pas sur l'analyse des sentiments, sa diabolique maîtrise fait merveille. Tortionnaire d'idées, Egan redonne son sens au mot Science-Fiction, la littérature des antipodes !
Que ce soit dans la dérision carnassière qu'il porte à l'état actuel des études universitaires, véritable dialogue de sourds appliqué à l'infinitésimal où l'on croit « entendre deux mauvais logiciels essayant chacun de convaincre l'autre de son intelligence »
. Ou dans la spéculation effrénée qu'il applique à l'avènement prochain, espéré, d'une ère technologique évoluée, dont le potentiel est de faire mieux que la nature, du simple fait qu'il ne s'agit pas toujours d'une question de vie et de mort, Egan montre sa pertinence. Téranésie exprime une idée forte : « L'évolution nous paraît inventive parce qu'elle a eu le temps d'essayer toutes sortes de solutions, mais elle ne laisse pas de place aux risques réels ni même à quoi que ce soit de vraiment farfelu. Nous avons (désormais) la possibilité de célébrer nos belles erreurs. »
.