Robert Charles Wilson : Bios
(Bios, 1999)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Lire les cinquante premières pages d'un roman, puis l'abandonner durant une semaine ou deux, par suite d'un emploi du temps perturbé, constitue parfois un test éclairant. Surtout en Science-Fiction où l'exposition du récit contient dans le meilleur des cas des conjectures inédites. En reprenant le texte, certaines entrées en matière vous laissent un sentiment de flou inexorable ; d'autres vous ont marqué de leur souvenir. C'est le cas du dernier Robert Charles Wilson, Bios. Et pourtant ses prolégomènes sont ambigus, multivoques. Mais la justesse du point de vue, le savant filtrage des informations, la subtile mise en place de la situation à travers des personnages en pleine pâte démontrent que l'auteur a su trouver le ton, le style qui impressionnent la mémoire.
C'est pourquoi je comprends mal le statut d'écrivain de second plan dans lequel est confiné Wilson en France. Déjà avec Vice versa et Mysterium, il avait su démontrer sa maîtrise et son originalité, son art de la mixité entre SF et psychologie, spéculation et lucidité. Avec Darwinia récemment, puis aujourd'hui avec Bios que "Folio SF" nous donne en inédit, la mise en évidence de son talent ne devrait rencontrer aucun obstacle.
Le charme de ce livre tient-il dans la personnalité attachante de Zoé, jeune clone rescapée d'une expérience in vitro réalisée dans un Téhéran assiégé, génétiquement et organiquement modifiée pour résister à des conditions extraterrestres ? Ou bien dans l'étrangeté fondamentale d'Isis, planète convoitée par les Humains ? Au moindre contact avec l'atmosphère, le sujet est pris de fièvre, souffre d'hémorragies internes, externes, d'une déliquescence de tissus qui mène à sa liquéfaction. À voir l'acharnement que ses bactéries kamikazes montrent à pendre d'assaut les cellules de recherche ultra-sophistiquées qu'on y a implantées, pourquoi ce monde vert est-il si criminel ? À moins qu'une vie inconnue riche en promesses veuille parler à notre vie ?
Troisième source de dépaysement, une Humanité future où règnent les Familles, où Mécanismes et Personnels complotent contre le Trust des Travaux et réciproquement. Où Kuipers et Martiens jouent les marginaux contestataires au sein d'une société étouffée par la hiérarchie, minée par le complot.
Il fallait de l'audace, un sens inné de la manipulation du lecteur, un art du suspense pour brasser ces facteurs complexes, les donner à voir en un roman à grand spectacle, tout en s'astreignant à limiter l'écriture au strict nécessaire. Ce qui, pour moi, est un argument ludique au vu des livraisons monumentales et insipides dont nous abreuvent les éditeurs anglo-saxons. Il fallait aussi une “vision” très inspirée, subversive du sujet pour que Bios ne se transforme pas en une n-ième version de Planète interdite.
Pari tenu pour une grande part. Car, si Wilson ne peut éviter en phase finale quelques clichés pancosmiques forts en vogue dans la SF américaine contemporaine, sa plume sensible, inventive, sait si bien évoquer les saveurs d'Isis, et les tourments libidinaux de Zoé, qu'il devient presque douloureux de les quitter en achevant le roman.