Walter M. Miller, Jr. : un Cantique pour Leibowitz
(a Canticle for Leibowitz, 1955-57)
roman de Science-Fiction par nouvelles
Pour les fébriles amateurs de SF, chaque année apporte son lot d'œuvres géniales. Or, les chefs-d'œuvre de la Science-Fiction sont rares, comme sont rares les chefs-d'œuvre en général. C'est pourquoi il est salutaire de commenter la réédition d'un Cantique pour Leibowitz, paru en librairie en 1960. Ni son actualité ni sa pertinence n'ont été démenties par les ans. Nul à propos de ce roman ne peut affirmer « la réalité dépasse la fiction », puisque le futur qu'il décrit demeure suspendu au-dessus de nos têtes, toujours éventuel et probablement désiré par d'irresponsables ambitieux, d'incontrôlables fanatiques, et par chance, jamais réalisé jusqu'à ce jour.
Ex-pilote de chasse pendant la dernière guerre mondiale, son auteur, Walter M. Miller, Jr., n'a écrit que ce roman, sa suite tardive et inachevée, quelques nouvelles. D'où cette concentration des idées, cette qualité du style et de la réflexion, cette économie de moyens qui oppose un Cantique pour Leibowitz à la tradition actuelle du “roman nova”, en expansion illimitée jusqu'à sa résorption en trou noir.
Et pourtant, il s'agit ici d'un vaste sujet : destruction du monde et renaissance. Le feu atomique s'est déversé sur la planète. La “Simplification” a fait table rase de ce qui subsistait. En mettant de côté les monstres et les anormaux, le taux de natalité permet tout juste aux dernières populations barbares de subsister. Du côté de l'Utah, des moines tentent de maintenir un certain espoir dans la culture, en mémorisant oralement quelques écrits. Mais voilà qu'un étrange ermite fait découvrir à Francis, jeune catéchumène, les reliques du Beatus Leibowitz sur lequel l'ordre est fondé. Ce sont d'innombrables documents sauvés de l'holocauste nucléaire par un obscur ingénieur qui aurait prononcé ses vœux. Le champ du savoir va-t-il s'élargir à nouveau, permettre à l'Homme de retrouver sa voie ? Où la patiente enluminure par le moine d'un plan de circuit intégré démontrera-t-elle que l'expérience du passé demeure intraduisible, source de quiproquos absurdes.
Ne sommes-nous pas post-diluviens ? incapables de savoir ce qui s'est produit avant cet événement capital pour l'histoire de l'Humanité. Et si nous n'étions que les produits dérivés de quelques constructeurs appelés dieu ?
En trois longues nouvelles s'espaçant sur plusieurs millénaires, Walter M. Miller, Jr. décrit l'émouvante, patiente et dérisoire lutte de ce groupe de résistants inspirés par la foi, regroupés dans l'abbaye de Beatus Leibowitz pour reconstruire une société digne de ce nom. Des choses équivalentes peuvent-elles se substituer l'une à l'autre sans dommage ou l'ordre d'une équivalence est-elle réversible ? En résumé, le retour à la civilisation mondialiste et technologique que nous connaissons, dont Miller anticipait l'avènement, porte-t-il en germe sa propre destruction ?
Qui peut répondre à cette question ? Peut-être Rachel, la sœur siamoise de Mme Grales, qu'elle conserve enclavée dans son épaule. Inerte depuis sa naissance, celle-ci ouvre ses yeux innocents à la fin des temps et demande : « Écoutez-moi, y a-t-il encore quelqu'un de vivant ? »
. Question d'actualité au moment où nos sociétés se recomposent selon un mode de perception du réel différent.