Michael Moorcock : Mother London
(Mother London, 1988)
roman de Science-Fiction littéraire
- par ailleurs :
Voilà des années que je voulais lire un nouveau Moorcock, écrivain mythique des années soixante-dix — père littéraire du célèbre Jerry Cornelius en phase avec le temps, négligé depuis par les éditeurs français. Sans doute à cause d'un remords, celui de l'avoir traité de pisse-copie délirant dans un ancien article, sans vraiment approfondir son œuvre. Or voici que la collection "Lunes d'encre" fait paraître Mother London, souvent cité (?) comme son chef-d'œuvre.
Depuis Cristal qui songe de Sturgeon ou l'Homme démoli d'Alfred Bester, tous les auteurs de Science-Fiction ambitieux rêvent d'écrire un roman à propos des télépathes. Sujet riche en spéculations innombrables sur les nouvelles formes de rapports qui pourraient s'établir entre les Hommes, entre l'homme et la femme, les animaux et l'Homme. Thème idéal pour traiter des persécutions qui menacent les mutants. Sans oublier l'aspect ludique que favorisent les chassés-croisés de pensées, leur utilisation en calligrammes, en expériences littéraires.
Si l'on veut commencer par le meilleur, nul doute que Michael Moorcock est un superbe styliste. Une sorte de Dickens shooté, caractériel, plein de perplexité et de compassion pour ses personnages, dont le sens de l'image et la verve métaphorique font merveille dans les descriptions, les digressions. Son sens inné du dialogue lui permet de s'étendre au fil de la plume sur des dizaines de pages sans qu'on sache exactement de quoi il s'agit, mais la parole est belle. C'est un “épique”, genre où tout est permis à l'écrivain pour raconter à sa guise les aventures de ceux dont il parle.
Et Moorcock ne s'en prive pas. Pour résumer l'histoire, il s'agit d'un groupe de télépathes, composé pour l'essentiel par Josef Kiss, acteur pachydermique et sentimental dont la femme s'est enfuie avec un policier hollandais et la sœur deviendra ministre de la Culture ; de Mary Gasalee, gracieuse veuve enfant à l'accent étrange dont la mémoire s'est effondrée durant le Blitz, sa fille lui a été retirée ; de David Mummery, écrivain, journaliste au physique à la Charles Boyer, passionné du Londres souterrain et des lignes de métro “perdues” dont on ne peut trouver les traces que dans les livres maçonniques. Tous vont passer pour aliénés, être internés, persécutés sans qu'on sache exactement s'ils sont fous ou s'ils sont télépathes, ou s'ils servent simplement à Moorcock pour exprimer son supplément d'âme à propos de Londres sous les bombes, et même en amoureux de la vieille Angleterre, après la guerre, durant les années rock, pop et jusqu'à aujourd'hui, puisqu'un chapitre se nomme "Princesse Diana" sans raison apparente.
Pour raconter leurs aventures, Moorcock utilise les méthodes les mieux connues pour faire perdre la mémoire au lecteur : chapitres où l'on glisse d'un personnage à l'autre sans remarquer le moment où le fait s'est produit ; chapitre où l'on passe d'un temps à l'autre, passé, présent, futur mélangés (dito), introduction de flashes télépathiques qui traduisent au choix la pensée du personnage, d'un tiers, ou de l'écrivain, longues généalogies d'inconnus, parenthèses interminables.
Ces tonnes de pages inutiles n'empêchent pas des instants de grâce et de charme, des éclairs de subtilité, des merveilles d'improvisation. On se prend alors à rêver d'un Moorcock télépathe allongé dans le fauteuil du salon. Il saurait nous transmettre ses fantasmes sans qu'on ait besoin de les lire.