K.W. Jeter : Noir
(Noir, 1998)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Après Instruments de mort ou Madlands, K.W. Jeter revient sur le site ensorcelé de ses cauchemars californiens. Los Angeles, capitale de son imagination la plus spéculative, tourmentée, gauchie, foisonnante de visions et de péripéties néofutures à vous faire dresser les neurones dans la cervelle. Cette fois, enrichissant le délire raisonnant de ses romans antérieurs, il se lance dans un exercice d'équilibriste autour du polar noir.
Contrairement aux propos ressassés à l'égard de Jeter, ce n'est pas Philip K. Dick qu'évoque Noir, mais plutôt J.G. Ballard, par l'accumulation d'images, d'artefacts symboliques qui marquent l'avenir de balises truquées. Boeing 747 dressé sur le nez pour servir d'immeuble aux errants, gel marin rempli d'ossements humains qui se déploie autour d'un hôtel carbonisé. Colonne vertébrale arrachée à un dealer de copyright en guise de trophée. Pour notre romancier naufrageur, il s'agit d'abord de plonger le lecteur dans le monde du doute où les repères du réel se métamorphosent ou se dissolvent. Afin de créer un univers suffisamment déglingué pour qu'il ne puisse se défendre d'être aspiré par les fantasmes. D'où l'impression permanente de se trouver à l'intérieur d'un cauchemar dont l'issue vous échappe parce que les mots y prennent un autre sens. Chaque fois que le lecteur tente de s'appuyer sur le langage pour surnager, il sombre dans l'univers de Jeter, qui est d'abord celui du style. Plutôt qu'un texte de SF ou qu'un polar, Noir est en premier lieu un roman sur l'écriture. Ses soupirs, ses dialogues-monstre, ses laisser-aller, ses remords, ses crises d'aérophagie, ses passages à vide, de même que son extraordinaire puissance de suggestion, ses gifles poétiques, la mise en lumière des personnages hauts en symboles, la superbe installation de ses paysages de fin d'apocalypse, font sentir à chaque instant la respiration de l'écrivain pianotant sur son traitement de texte. Bien que ce livre soit le résultat d'un énorme travail, Jeter donne l'impression qu'il s'agit d'un premier jet, d'un lâché d'inspiration sans contrôle. Afin d'offrir ce qui manque bien souvent à la Science-Fiction de production courante, le souffle conjectural, seul habilité à bousculer les idées reçues, en piétinant la prospective officielle pour faire gicler le moût noirâtre du futur.
Quant à l'histoire, je vous la laisse découvrir. Mac Nihil, agent de recouvrement du copyright, est chargé d'enquêter par la société DynaZauber sur le décès d'un de ses cadres, Travelt, dont la langue est bizarrement mutilée par une connexion sexuelle.
Mais est-ce vraiment ce qui importe ? L'essentiel est bien dans la fureur d'écrire qui pousse Jeter à s'arracher la tripe littéraire. Au point de se lancer dans un hymne rageur pour la défense des droits d'auteur qu'il conclut par cette maxime : « Il existe une solution radicale au vol de la propriété intellectuelle. On l'appelle le 357 magnum. Pas de meilleur moyen d'éliminer les pirates. »
Aux USA, l'exception culturelle prend les armes.