Alastair Reynolds : la Cité du gouffre
(Chasm City, 2001)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Voici qu'Alastair Reynolds nous livre le deuxième opus de sa trilogie. Ce Gallois, astrophysicien aux Pays-Bas, participe au revival du space opera anglo-saxon.
Par mesure de protestation du prolétaire critique contraint d'absorber à haute dose des volumes de 700 pages, je serais tenté de résumer la Cité du gouffre en une seule phrase : chargé d'assassiner Reivich pour exécuter une vengeance, Tanner Mirabel s'aperçoit que ni lui ni sa victime ne sont ceux qu'il croyait être. Mais ce serait insinuer que cet épais roman n'est qu'une nouvelle étirée. Ce qui n'est pas le cas. Car, au synopsis linéaire propice au thriller, se greffe une seconde épopée plus ancienne, celle de la conquête de l'espace lointain par l'Homme. Embarqués sur une “flottille” de six vaisseaux — moins un qui serait plus ou moins fantôme, et pilotés par des dauphins —, l'équipage et les post-mortels cryogénisés luttent contre la montre. Car à voyager moins vite que la lumière, les voyageurs risquent de se faire coiffer à l'arrivée par d'autres vaisseaux partis sur leurs traces, dotés d'une technologie plus sophistiquée. Leur capitaine s'efforce à n'importe quel prix de maintenir son avance. Son destin tragique sera à la source d'une double intrigue solidement construite dont les finalités se rejoignent en boucle.
À l'inverse de son premier roman, l'Espace de la révélation, où l'écrivain cherchait plutôt à balayer les stéréotypes du space opera, il se livre ici et à cœur joie aux délices galactiques entre Nueva Valparaiso, dans le Cygne, et Epsilon Eridani, capitale Chasm city.
Chasm city a été frappée par un virus nanotechnologique, la “Pourriture fondante”, au moment où sa civilisation atteignait un degré de raffinement extrême. C'est dans la description de cette ville, de sa décadence et de la maladie sournoise qui la sape qu'Alastair Reynolds se montre le plus décevant. Au lieu d'en restituer l'atmosphère d'une manière prégnante, par l'altération imaginative du décor, la déliquescence suggestive de ses habitants — qui aurait porté le texte à son point d'achèvement littéraire —, il préfère l'action. Ce qui lui permet de dispenser plus aisément les effets du suspense classique.
À ce reproche répond heureusement, dans les champs et contrechamps du roman, une gamme d'inventions et de mirages, de fausses pistes et de coups fourrés, de pirouettes quantiques et de fantasmes élaborés que l'auteur déploie en un vaste kaléidoscope d'aventures vertigineuses, de situations extrêmes, d'êtres troublants.
« Si vous tuez l'homme dont vous conservez les souvenirs en mémoire, ne serait-ce pas une sorte de suicide ? »
demande l'un des personnages-clé de la Cité du gouffre à Tanner, au terme de son périple. Le suicide s'attaque-t-il au statut absurde de l'individu ? Vise-t-il au sacrifice délibéré de l'ego souffrant ? Ou bien n'est-ce qu'un alibi pour effacer de la conscience collective l'histoire de sa vie, telle qu'on l'a ratée ? Voilà peut-être le vrai thème de réflexion de l'opus II d'Alastair Reynolds.