Cela se présente comme un livre, et pourtant c'est une revue au rythme intemporel. Par cet artifice, les anthologistes désirent montrer que, si la Fantasy n'est pas finie, la Science-Fiction anglo-saxonne subit une véritable renaissance. À travers une dizaine de nouvelles dont les auteurs sont pour la plupart connus et publiés par d'autres éditeurs, les éditions Bragelonne proposent en réalité leur programme pour 2006.

Ces textes ont paru entre 1994 et 2005, soit une bonne décennie au cours de laquelle Jean-Claude Dunyach détecte l'apparition du NSO, le nouveau space opera. Son texte brillant et perspicace en décèle les tendances, littérature métissée, sociétés anarchiques, utopies réalistes, extraterrestres hétérogènes, inexplicables, homme modifié, artificiel, dopé en artefacts technologiques. Auquel s'adjoint le concept de la disparition/transformation de l'Humanité à la suite d'une faille de l'évolution qui peut revêtir des formes singulières. J'ajouterai à ce tableau que le NSO “de pointe” (dont Laurent McAllister, ici, est le fer de lance) s'affranchit résolument de la notion de contact entre l'écrivain et le lecteur ordinaire. « Vous qui entrez ici, perdez toute espérance… de comprendre, si vous n'avez jamais lu de SF. » C'est une littérature qui se parle à elle-même. Le concept est original.

Mais ne vous laissez pas abattre par cet introït, car Science-Fiction 2006 comporte quelques œuvres majeures à la portée de tous les esprits qu'il serait dommage de négliger. L'excellent "Continuum" de James Lovegrove évoque la manière burlesque et facétieuse du défunt R.A. Lafferty. Le superbe "les Rémoras" de Robert Reed initie le cycle d'un vaisseau planète où se joue une “Comédie inhumaine”, dont on retrouve les échos sheckleyens dans "Morceau par morceau" de Karen Travis. "Le Front pour l'Humanité" de Ken MacLeod est une uchronie retorse, jubilatoire, où la Seconde Guerre mondiale se poursuit entre les USA et l'URSS. Dans l'ensemble, le choix des textes est judicieux, concerté pour mettre en valeur le riche éventail de la Science-Fiction contemporaine anglaise.

En contrepoint de ce réel plaisir de lecture, découvrez un corpus de nouvelles, le Pain éternel d'Alexandre Beliaev, célèbre romancier urrssien des années trente, qui vient de paraître en édition bilingue chez Langues & mondes. Même si le NSO n'existait pas, on s'aperçoit alors que les idées spéculatives foisonnaient chez Beliaev à cette époque. Et qu'il suffirait d'un rien pour qu'un auteur d'aujourd'hui les reprenne sans complexe.