Robert Reed : un Puits dans les étoiles
(the Well of stars, 2004)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Le plus inquiétant, dans cet immense vaisseau de 50 000 km de diamètre, peuplé de milliards d'individus, c'est la rumeur. Chez les Terriens immortels et le fort pourcentage d'extraterrestres qui a payé pour monter à bord, au moindre incident, les imaginations s'enflamment. Et la Maîtresse doit sévir pour apaiser les passions déchaînées. Surtout quand le vaisseau va s'enfoncer dans la noirceur de l'espace, entre deux nébuleuses. Après mille siècles de voyage, personne ne sait d'où il vient, ni pourquoi il s'engage vers cette destination.
Sur ce thème hautement métaphysique, Robert Reed, qui ne craint pas d'affronter les difficultés, s'engage dans un vertigineux space opera. Tout est lyrique, colossal, démesuré dans un Puits dans les étoiles. Les hypothèses sur l'univers font vaciller l'esprit, les personnages ont un pouvoir de transformation et de récupération quasi illimité, disposent du temps à volonté, les prouesses technologiques tiennent de la prestidigitation, les fils de l'histoire sont si embrouillés qu'un borogove n'y retrouverait pas ses petits. Surtout lorsque les voyageurs vont rencontrer sur leur chemin la Polymare, l'être qui a raté “sa” création et veut la reprendre à zéro en s'emparant de l'hypothétique passager enfermé depuis des millénaires au cœur des soutes.
Dès lors, le récit s'enfonce dans le délire et perd de sa cohésion. Sauf pour amateurs avertis, férus d'acrobaties spéculatives échevelées. Car ici, Robert Reed tente de maîtriser le projet secret de tout écrivain de SF : parvenir à décrire l'indicible, l'inconnaissable ; surfer à travers les dimensions de l'imaginaire au point de s'y diluer ; larguer définitivement le réel pour aborder des réalités inconnues. Certes, il possède souffle et talent ; l'esprit du lecteur parvient à l'accompagner… jusqu'à ce que, lassé par une accumulation frénétique d'épisodes sidérants, il décroche.
Un Puits dans les étoiles demeure néanmoins un roman attachant, ne serait-ce que par son ambition et la qualité de son écriture. Grâce aussi à une galerie de portraits si bien campés qu'on s'attache à suivre leur destin infernal. Sans compter les chapitres fantômes où il ne se passe rien, subtiles oasis où la raison peut reprendre pied avant de se plonger à nouveau dans un récit effréné.
Bizarrerie ultime, dans ce futur abyssal, un personnage porte encore un bracelet-montre et le rapport d'un lieutenant à son capitaine est écrit à la manière de la marquise de Sévigné. Peut-être le détail qui signe le nouveau space opera — NSO, pour les initiés.